Reconvertir
Villa Balthazar, Valence (Drôme)

> Descriptif opération


Contrairement à la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Drôme qui, vers 1920, édifie au centre de Valence un immeuble symbolisant la puissance de ses membres, la Chambre d’Agriculture du même département construit en 1959 un édifice minimaliste. Il est en total mimétisme avec un immeuble d’habitation de la Reconstruction, une longue barre inachevée. Mitoyenneté absolue, volumétrie strictement identique, reprise fidèle du rythme des percements et reproduction imposée des modénatures des façades : le véritable copier-coller imposé élimine tout signe distinctif. Un demi siècle plus tard, trop à l’étroit dans son immeuble, en dépit de deux extensions limitées, la représentation consulaire libère ses locaux et rejoint la construction nouvelle qu’elle a commandité en périphérie de Valence. Après quelques années de disponibilité, ceux-ci sont repris par une ancienne responsable d’entreprises qui, avec l’aide d’un architecte local, les transforme en Centre d’art.
Plus encore que d’une reconversion, cette intervention procède d’une révélation extérieure et intérieure, particulièrement probante de qualités insoupçonnées.

 

Descriptif de l’opération

Précédemment installée dans des locaux mis à sa disposition par la Caisse régionale du Crédit Agricole, la Chambre d’agriculture de la Drôme confie en juin 1959 à l’architecte valentinois Paul Bouchardeau le projet d’un nouvel édifice consulaire. Celui-ci s’implantera sur le boulevard Vauban, face à la future préfecture et en lisière du quartier dit de La Belle Image, emblématique de la Reconstruction. Plus encore que d’une volonté que l’on qualifiera ultérieurement « d’accompagnement », sa démarche procède d’une duplication, d’un exceptionnel « copier-coller » tel qu’il pourrait être réalisé grâce aux procédés numériques actuels.

En effet, les autorités chargées de la reconstruction de la ville de Valence , bombardée le 15 août 1944 par l’aviation américaine opérant à très haute altitude, imposent en effet à l’acquéreur du terrain d’achever la « barre D1 » prévue au plan d’ensemble établi en 1950 par les architectes Georges Bovet, Maurice Biny et François Bérenger.

Paul Bouchardeau se livre donc à un exercice imposé qui conduit la Chambre d’Agriculture à renoncer au moindre signe institutionnel affirmant son rang d’organisme consulaire. L’architecte doit en effet rigoureusement s’inscrire dans la volumétrie de la barre de logements dont il termine l’extrémité nord, en reprendre scrupuleusement le rythme et la dimension des percements, adopter sans les modifier les modénatures de façade conçues pour Maurice Biny pour l’immeuble voisin, comme l’indiquent les mentions portées sur les élévations de son projet. Il doit même reprendre à son compte l’enduit de mortier frotté et la teinte de celui-ci… adoptés par son confrère.

Extérieurement, sur 23,10 mètres de longueur et 9 mètres de large, il clone simplement les 38 ,60 mètres de longueur et 9 mètres de large dessinés sans grande saveur par Maurice Biny.

 

Intérêt
Le 22 septembre 1960 s’ouvre donc le chantier de construction d’un ensemble de 18 bureaux auxquels est associé un logement de gardien. L’ensemble est pensé pour accueillir quotidiennement 25 employés et une trentaine de visiteurs. Prévu pour durer un an et demi, le chantier représente un budget prévisionnel de 450 000 Nouveaux Francs, somme destinée à réaliser un immeuble de quatre niveaux.
Dès 1962, la Chambre d’agriculture demande à Paul Bouchardeau d’établir les plans d’une extension de sept bureaux et de deux locaux d’archives. De façon à préserver des places de stationnement, il pose sur des pilotis ce nouvel espace tertiaire à R+1.  Son projet prend la forme d’un petit volume édifiée parallèlement à la première construction, en retrait de sa façade arrière à laquelle il est relié par une passerelle.

Une seconde extension, confiée à la SICA d’Habitat rural du Balcon rhodanien en mai 1974 et consiste à supprimer les places de stationnement pour édifier un laboratoire et quatre bureaux supplémentaires. Ce projet est rejeté par la Ville car non conforme aux prescriptions du Plan d’occupation des sols en matière de stationnement.

 

Caractéristiques de l’existant

L’immeuble se situe en lisière du quartier de la Reconstruction dont le plan d’aménagement est conforme aux principes de cette période. Symbole de la modernité apportant le confort et la lumière, il est ensuite tombé en décrépitude, puis s’est paupérisé bien qu’il jouxte le centre ville et l’ensemble administratif fédérant la Préfecture, le Conseil départemental et la Sécurité sociale.

Est-ce en raison des difficultés d’accès au fonds de Maurice Biny et sur celui de Paul Bouchardeau que le bâtiment a été faussement attribué au premier ? Il est en effet signé – comme l’attestent les dossiers conservés par les archives municipales de Valence – d’un architecte dont nous savons seulement qu’il a projeté un immeuble de logements pour fonctionnaires (1957) à Valence, a édifié l’église Sainte-Thérèse à Guilherand-Granges (1961) et a réalisé, sur les berges du Rhône, le centre d’accueil de L’Épervière, intégré au projet de la base de loisirs établi par Charles Delfante en 1965.

Au sein de l’immeuble de la Chambre d’Agriculture, Paul Bouchardeau a réparti les fonctions sur les quatre niveaux imposés par le gabarit de la Reconstruction.
Au rez-de-chaussée, il a disposé le logement du gardien, un petit espace d’exposition faisant office de vitrine, le hall prolongé par un espace d’attente et intégrant la banque d’accueil et le standard, et une salle de réunion. Au premier étage, il a réparti les bureaux du Président et du directeur et de leur secrétariat commun, complété par un laboratoire et par les bureaux des plantes à parfum, des productions fruitières, des productions animales, des échanges fonciers et du remembrement. Au deuxième étage, outre l’habitat rural, il a installé les espaces de la comptabilité et de la documentation ainsi que ceux des cours et marchés. Il a réservé le troisième étage à la grande salle des assemblées plénières et des conférences. L’extension ultérieure est divisée en neuf bureaux à l’étage, auxquels sera ajouté un laboratoire au rez-de-chaussée mais maintenues quelques places de parkings.

 

Procédure

Lorsqu’il est libéré par la Chambre d’Agriculture, l’immeuble se confond à la barre, très dégradée du fait de sa paupérisation.  Le rez-de-chaussée  de sa façade sur l’avenue Gambetta est occupée par des commerces peu attractifs. Son pignon ouest est ouvert sur la place Le Carbonnel, débouché des rues André  Lacoix et de la Farnerie et, de ce fait, constitué en un rude rond-point automobile. Sa façade arrière donne sur une ruelle secondaire… Peu avenant, il reste inoccupé pendant cinq ans.

 

Interventions
Le projet de Centre d’art qui finit par s’en porter acquéreur, va prendre appui sur ces faiblesses initiales et parvenir à les retourner en sa faveur. Le projet conçu par l’architecte valentinois Christian Chèze va même induire le désir de voir l’ensemble de l’ex « barre D1 » suivre une évolution similaire.
Extérieurement, une peinture blanche recouvre l’ensemble des volumes. Cette simple action établit une dichotomie radicale entre logements et Centre d’art. Elle gomme les détails des modénatures qui, avec le temps, sont tombées en désuétude. Mais surtout, en réduisant les fenêtres à de simples ouvertures, elle révèle la géométrie et le rythme. Cette portion de la barre D1 retrouve ainsi une écriture contemporaine engendrée par la tendance rationaliste et portée par une génération d’architectes les plus actifs la fin du XXe siècle et au tout début du XXIe. Ce décalage temporel est totalement probant.

Fonctionnellement, le report de l’entrée initialement établie boulevard Vauban sur le pignon ouest semble compliquer l’accès. De fait, il accompagne le comblement de la faille existante entre l’édifice initial et son extension par un volume entièrement vitré, signalée par des menuiseries et un débord de toiture en acier de teinte gris foncé. Il constitue à la fois un sas d’entrée, un espace accueil et temps d’introduction dans la galerie, entre bureaux et salles d’exposition. L’établissement d’une telle transition est d’autant plus justifié que le visiteur est ici réellement accueilli.
Quatre interventions majeures valorisent les espaces intérieurs. Un décloisonnement général créé des espaces généreux, ouverts les uns sur les autres. Le Centre d’art dispose même de volumes aux dimensions remarquables, notamment celui libéré dans l’ancienne extension. Les éléments caractéristiques de l’architecture de Paul Bouchardeau ont été préservés et valorisés dans ce nouvel espace et plus particulièrement le grand escalier tournant sur limon central, large de 1,30 mètre, à structure métallique et emmarchements en pierre de Hauteville. Tel est également le cas du mur en pavés de verre formant cloison entre l’ancien hall et l’ancienne salle de réunion tous deux intégrés aux surfaces d’exposition. Ces options initiales ont été paradoxalement transcendées par les démolitions. Celles-ci ont révélé le système constructif des plafonds, des caissons alvéolés préfabriqués permettant d’alléger le poids de la construction, d’accélérer la mise en œuvre et d’en diminuer le coût. Mis à nu et maintenus tels par une décision prise sur le chantier, ils donnent un caractère unique à ce lieu, d’autant que leur forme en éponge systématiquement répétée sur toute l’étendue du plafond n’est pas sans évoquer le systématisme des gestes revendiqué par un groupe d’artistes des années 1970… Cet élément constructif relie également cet espace à d’autres bâtiments régionaux dont le complexe socio-culturel des Marquisats à Annecy d’André Wogenscky et l’usine Gamblin à Viuz-en-Sallaz de Renè Gagès  et le Gagès de  Maurice Novarina. Cette  mise en évidence de la vérité constructive est accentuée par le choix d’y suspendre en les laissant visibles les câbles électriques, les tuyaux de chauffage et les gaines de ventilation.  Des espaces d’habitation ont été créé, soit en relation directe avec l’activité du Centre, tel l’atelier d’artiste aménagé au premier étage, soit pour équilibrer le bilan financier de l’opération, comme les logements locatifs créés aux niveaux supérieurs dont un en duplex.  Dans la même perspective, les aménagements ont été pensés pour que l’espace puisse être privatisé.
Dans une cité subissant l’attraction de ses voisines, des capitales régionales telles Lyon et Marseille ou internationales comme Genève, implanter une telle structure relève forcément d’un attrait personnel pour l’art et les artistes plus que de la stratégie d’exister sur le marché internationalisé de l’art. C’est assurément ce qui fait que ce lieu dégage une telle harmonie chaleureuse. La performance de conception et de réalisation des lieux n’en est que plus remarquable, l’acquisition ayant eu lieu en avril et l’inauguration en décembre de la même année !

 

 

 

À voir / À lire

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