Reconvertir
Usine d’embouteillage, Vichy (Allier)

> Descriptif opération


Comme nombre de villes thermales, Vichy ne proposait pas seulement ses cures et leurs environnements médicaux et touristiques : elle exportait son nom et les bienfaits de ses eaux sous forme d’eau minérale. Initialement située au sein de l’établissement thermal, l’activité d’embouteillage et d’expédition devient autonome en 1867. Elle s’établit alors au plus près de la gare, dans des locaux qui sont agrandis dès 1898. Douze ans plus tard, quatorze millions de bouteilles y sont remplies et expédiées. Elles seront soixante-dix millions en 1970.

Dès les années 1930, la croissance continue de l’activité impose de réaliser de nouveaux locaux à l’arrière de la façade initiale développée le long du boulevard de Gramont. Se substituant à des constructions traditionnelles,  ils constituent une ode au béton avec leurs puissantes structures laissées brutes et les amples voûtes des halls de production. Mais, de 1985, année où l’activité d’embouteillage est transférée à Saint-Yorre à 2007, année où débutent les travaux de reconversion, ces espaces sont vandalisés, tagués, graffés… au point de sembler ne plus pouvoir être réutilisés. Néanmoins, leur emplacement privilégié plaide pour leur conservation. La Ville les acquiert auprès de l’État et les cède à la communauté d’agglomération, Vichy Val d’Allier, qui pilote leur reconversion en pépinière et en hôtel d’entreprises. À l’issue d’interventions lourdes, de remodelages, de destructions, de reconstructions et d’adjonctions, les architectes de l’agence Canal mettent une crèche et un édifice tertiaire fonctionnels et lumineux à la disposition d’une palette de jeunes sociétés et d’un investisseur institutionnel, la compagnie d’assurance la Macif.

Caractéristiques de l’existant

À l’arrière de façade en brique édifiée dans la seconde moitié du XIXe, au fronton de laquelle sont mentionnées en grandes lettres sculptées les noms de Vichy-État et de la Compagnie Fermière, l’usine d’embouteillage dispose d’une série de nefs parallèles, emblématiques des constructions industrielles en béton par la puissance de leurs éléments structurels et les dimensions de leurs volumes. Disposés perpendiculairement à l’avenue de Gramont et parallèlement aux voies ferrées qui limitent la parcelle, ils se déploient de part et d’autre d’un grand hall d’embouteillage vers lequel convergent les eaux des différentes sources captées et où s’alignent les machines. Cet espace majeur constitue, avec les thermes et la fabrique des pastilles Vichy, l’un des vecteurs de la communication de la station et des buts de visite des curistes et des touristes. Son emplacement a été choisi en relation avec l’arrivée du chemin de fer à Vichy en 1862, les bouteilles mises en caisses pouvant être aisément expédiées. L’usine fonctionne jusqu’à ce que le développement des bouteilles en plastique et la montée en puissance de la capacité de l’usine de Saint-Yorre engendrent le transfert de cet embouteillage des eaux de Vichy à Saint-Yorre en 1985.

Procédure

La fermeture de l’usine d’embouteillage s’ajoute à celle de certains grands hôtels, à l’obsolescence de la majorité des établissements thermaux, à l’état d’abandon des parcs et la récession du commerce de centre-ville. Cette situation conduit la municipalité à engager une politique de reconquête en quatre temps. Un plan de relance thermale signé avec l’État, la Compagnie Fermière de Vichy, la Région et le Département permet de rénover les thermes et le Grand Casino et de créer le centre de « Beauté Santé » des Célestins. Puis la ville intervient sur le centre-ville : elle réalise un parking souterrain, aménage des rues piétonnes, édifie un Palais des congrès, favorise la rénovation de l’habitat et du parc hôtelier. Une troisième phase, permet une première reconquête des friches urbaines et le développement de pôles d’activités centraux, dont un centre universitaire (Lardy) et un centre commercial (Les Quatre Chemins). Une quatrième série d’actions intervient à partir de 2001 dans le cadre de la nouvelle Communauté d’agglomération. Elle concerne la création de grands équipements structurants dont le pôle d’échange intermodal basé sur la réhabilitation de la gare historique, la rénovation du marché couvert et la requalification de la friche de l’ancienne usine d’embouteillage.

Interventions

En matière de construction en béton, les années 1930 sont fertiles à Vichy puisque se réalisent ou s’étudient alors les tribunes et gradins du stade vélodrome Louis Darragon ( 1932), le marché couvert municipal de la place Pierre Victor Léger (1933), la Bourse du travail (1933), les Bains de seconde classe (1933) puis les piscines (1936) de l’établissement thermal, le stade nautique (1934), l’Hôtel des postes (1935) et des immeubles d’habitation dont celui signé par Georges-Henri Pingusson… Cette diffusion d’un matériau est le fait du savoir-faire d’entreprises locales dont la société Chaumény qui a notamment construit à Vichy en 1928, l’hôtel Le Mondial ; en 1929, les hôtels Russie & Méditerranée et France-Pasteur ainsi que le Petit Casino ; en 1935, le marché couvert et la poste centrale ; en 1939, la piscine du Sporting.

Après la destruction des constructions XIXe en façade sur l’avenue Gramont l’appartenance du centre d’embouteillage à cet ensemble de réalisation s’affirme. Ainsi, le projet de reconversion concerne un édifice à triple dimension mémorielle : thermale, constructive et esthétique.

Le programme qui doit y prendre place est défini par Vichy Val d’Allier. Il est relativement classique en matière d’infrastructure immobilière d’aide aux entreprises en phases d’installation et de développement. Il associe en effet une pépinière de 1 000 m2 proposant vingt-quatre bureaux de 18 à 70 m2 concentrée sur trois niveaux logés dans le volume principal de l’ancienne usine ; un hôtel  de 4 500 m2 divisé en bureaux de 30 à 247 m2, un plateau de 2 000 m2 fractionnable en open spaces de 480 à 1 200 m2, un centre d’affaires louant des bureaux et des salles de réunion à la journée ainsi que des surfaces mises en réserve pour l’expansion future de certains locataires. L’ensemble est complété par des services communs dont une salle de visioconférence, un espace détente, un vaste hall d’accueil et une crèche interentreprises.

À la suite d’une compétition, ce projet de 10 200 m2 et 16,5 millions d’euros de travaux est confiée à l’agence Canal. Daniel et Patrick Rubin, ses fondateurs, ont débuté leur carrière par deux coups d’éclats, deux opérations de reconversion conduites en 1987 et 1989 pour deux des personnages les plus médiatiques des années mitterrandiennes. La première consistait reconvertir un garage des années 1950 en bureaux du journal Libération dirigé par Serge July. La seconde à transformer d’anciens ateliers d’ébénisterie du quartier de la Bastille à Paris en bureaux pour le magazine Actuel de Jean-François Bizot et sa filiale, Radio Nova.

La destruction des locaux du XIXe siècle proposée par les architectes libère une esplanade mettant à distance le futur pôle d’entreprises de la circulation automobile de l’avenue de Gramont. Cette décision génère trois interventions articulées les unes aux autres et déterminantes pour l’image du futur établissement : la création d’une nouvelle façade principale, la conception d’une nouvelle entrée et la construction d’une extension dédiée à la crèche interentreprises.

La nouvelle façade se compose à partir du contraste établi entre la quasi-fermeture de l’extrémité de tous les pignons des nefs et celui de l’ancienne grande salle d’embouteillage qui laisse voir son volume cathédrale à travers une façade entièrement vitrée. Elle devient l’image symbole de L’Atrium, nom de baptême du nouvel ensemble tertiaire. L’entrée en forme de placette urbaine se glisse sous une grande verrière qui réunit l’ancienne usine à l’extension de 2 000 m2. Cette dernière, édifiée sur une partie de l’emplacement des locaux démolis, s’interpose entre le boulevard et l’usine et duplique formellement le nouvel Atrium.

Dans l’ancienne usine, huit mille mètres carrés de bureaux et d’espaces partagés sont aménagés. Ils prennent place, soit autour de patios créés dans les trames existantes par la démolition de toitures et de planchers, soit dans les surfaces glissées sur trois niveaux au cœur de la grande nef. Un grand soin est apporté à l’éclairage naturel des couloirs et des escaliers, des espaces partagés et des bureaux. L’organisation fonctionnelle est claire, le repérage aisé, les circulations généreuses et les locaux agréables. Ainsi abordé, L’Atrium semble être une réussite.

Les architectes déclarent avoir abordé ce programme dans un sens plus urbain qu’industriel. Faut-il comprendre plus architectural que patrimonial ? En créant sur la façade principale des murs de brique où sont disposées de grandes fentes munies de volets pivotants proches de ceux de la médiathèque qu’ils ont signé à Charleville-Mézières ; en instaurant des percements d’échelle domestique sur la façade latérale ouverte sur la rue de l’Emballage pour tisser un lien avec les nouveaux immeubles de logements voisins ; en perçant des patios dans le corps même de l’édifice, ils interviennent fortement sur le caractère initial des lieux. Ils posent ainsi la question de l’articulation entre design des espaces tertiaires correspondant aux attendus fonctionnels et symboliques des instances économiques actuelles et le degré de réappropriation de l’esprit initial des lieux dans les opérations de reconversion concernant des lieux ayant un caractère incontestable. Dans la logique tertiaire, leur intervention est particulièrement convaincante : ils ont adroitement résolu la difficulté de disposer des espaces évolutifs dans une structure rigide. Mais la logique patrimoniale semble ne pas être parvenue à nourrir le projet. Fallait-il, par exemple, gommer les pavés de verre intégrés à la voûte du grand hall d’embouteillage ?

La question concerne également l’extension qui s’élève seule sur le boulevard. Contrairement à son apparence, elle résulte non pas de la suppression d’une partie de la structure préexistante mais de l’adjonction d’une construction nouvelle. De fait, Canal a conçu là une architecture « d’accompagnement » de l’architecture 1930 telle qu’il l’a modifiée à quelques mètres de là. Une telle posture semblait être tombée en désuétude depuis les années 1980 et la création par Christian Langlois d’un immeuble face au Palais du Luxembourg à Paris et d’édifices administratifs sur la place de la Cathédrale à Orléans. Elle est remise en pratique par les outils informatiques et plus particulièrement par la facilité avec laquelle un volume peut être extrudé d’un ensemble plus important. Un tel « faux » architectural introduit les questions posées par L’Atrium. Selon quel degré de conformité aux « standards du marché » transformer un espace de production industrielle en locaux tertiaires ? À quelques centaines de kilomètres, Vichy Val d’Allier avec CANAL À Vichy et 6e sens Immobilier avec Sud Architectes, Cécile Reymond et Alep à Lyon y apportent deux réponses différentes. Dans les deux cas, le cortège des questions techniques réglées est impressionnant. Ici, la création des six patios vitrés sur deux niveaux a été précédée de la démolition des voûtes de toiture et des dalles de planchers, la structure poteau-poutre d’origine en béton a dû être renforcée, notamment au droit des patios, et une poutre reconstituée soudée métallique de vingt mètres de portée a été posée pour la reprise des charges de la voûte principale. À Lyon les poutres et les planchers calculés au plus juste par les ingénieurs ont également dû être renforcées. Et dans les deux sites, les intervenants mentionnent des finitions soignées : à Vichy, la couverture en aluminium des toitures, les  façades en briquettes de parement silico-calcaire, les ascenseurs vitrés ; à Lyon, les garde-corps de Jean Prouvé et les mosaïques des sols reconstituées… Mais au final, L’Atrium semble l’antichambre d’une répétition modernisée d’une approche traditionnelle du cadre de travail d’une entreprise, mobilier standard compris, alors que Le New-Deal affirme un look, esquisse des attitudes et des pratiques de co-working qui paraissent d’avantage porteuses d’avenir. Et la différence entre ces deux opérations semble en partie résulter du degré d’intégration de la question patrimoniale à la démarche programmatique.

Édifice initial

  • Maître d’ouvrage : Compagnie Fermière

Édifice reconverti

  • Maîtrise d’ouvrage : Vichy Val d’Allier
  • Maîtrise d’œuvre : CANAL, Daniel Rubin, assisté de Gaétan Engasser et Nathalie Millet
  • BET : OTH Rhône-Alpes
  • Architecte d’opération : Atelier Jonction, Gilles Alexandre
  • Conception technique :  Iosis
  • Consultants : moe
  • Philippe Thomas, paysagiste
  • Surface : 10 200 m² SHON
  • Coût des travaux : 16 M€ HT
  • Calendrier :  Études 12 mois. Chantier 18 mois
  • Bureau de contrôle : Veritas
  • Entreprise pilote : GFC (Groupe Bouygues)
  • Projet : 2004
  • Engagement des travaux : 2007
  • Inauguration : 2008

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