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Tour observatoire, Grenoble (Isère)

> Descriptif opération


L’exposition internationale de la Houille blanche et du Tourisme qui se déroule à Grenoble de mai à octobre 1925 est dominée par la tour observatoire haute de quatre-vingts mètres que signe Auguste Perret. Cette manifestation locale d’un désir international de construire en hauteur, allant de pair avec le développement des ascenseurs, propose d’irrésistibles attractions : dominer pendant quelques instants le site de l’exposition, découvrir le fait urbain dans toute son ampleur et se mesurer au panorama des montagnes.  L’exposition achevée, la tour reste l’outil d’un émerveillement visuel jusqu’à ce que vieillissante, elle tombe en désuétude dans un monde où l’on réside désormais en hauteur, comme l’illustrent les trois tours grenobloises de l’île Verte.

Fermée, elle demeure un symbole, glisse vers l’oubli et est lentement redécouverte car jouant à Grenoble un rôle similaire à celui des mâts de la piscine du Rhône à Lyon : être un élément majeur de l’empreinte digitale de la ville composée dans la mémoire des visiteurs.

La remettre en état, voire en service, suppose de l’inscrire dans un projet global que la Ville s’attache à définir. En attendant, la tour est laissée en l’état mais sécurisée, observée, analysée de sorte qu’il est à nouveau envisageable qu’elle s’inscrive durablement dans la ligne de ciel de la ville.

Caractéristiques de l’existant

Sans avoir encore accès à la notoriété que lui apportera la Reconstruction du Havre, Auguste Perret, architecte doublé d’un entrepreneur, est alors connu pour avoir édifié quelques-uns des édifices qui deviendront des jalons de l’histoire de l’architecture du XXe siècle : l’immeuble de logements de la rue Franklin (1905), le garage de la rue de Ponthieu (1906), le théâtre des Champs-Elysées (1913), les ateliers Esders (1919) tous situés à Paris et l’église Notre-Dame au Raincy (1923).

À cinquante-et-un ans, il réalise à Grenoble sa première œuvre non industrielle hors de Paris.

Comme ses confrères, Auguste Perret rêve alors de construire des immeubles de logements  de grande hauteur, tel le projet d’une avenue de Maisons-tours qu’il fait paraître dans « L’Illustration » en 1922, prémices de la « Maison-tour », un gratte-ciel cruciforme, qu’il publie dans « La Science et la Vie » en 1925.

Ce désir de réaliser des tours monumentales anime les ingénieurs-constructeurs et les architectes. Parmi les premiers, François Coignet imagine des tours d’une « hauteur inusitée, de plusieurs centaines de mètres au besoin » et Hennebique projette un immeuble en forme de tour d’une hauteur de trois cents mètres. Au sein des seconds, Eugène Hénard développe l’idée de placer au centre des villes de l’avenir « une colossale tour d’orientation de cinq cents mètres couronnée par un phare puissant, et Charles Rabut rêve d’utiliser la structure de fer de la Tour Eiffel comme armature pour le béton lui permettant d’élever la tour jusqu’à cinq cents mètres de hauteur. De tels rêves se dessinent encore plus précisément avec les dessins de Villes Tours que Le Corbusier publie en 1915.

Aussi, la tour observatoire de Grenoble peut-elle être lue selon différentes approches : test à petite échelle d’un projet architectural et urbain beaucoup plus ambitieux ; réplique obligée aux tours et belvédères qu’Eiffel a mis à la mode en 1889 avec sa propre réalisation sur le Champs de Mars ; invitation, à l’initiative du commanditaire de la tour, le Touring Club de France, de dépasser les horizons usuels du tourisme via ce regard jeté sur les massifs montagneux qui ceinturent la ville.

Symbolique, la tour est également pratique : elle plébiscite deux applications de l’électricité puisque dans ses flancs deux ascenseurs hissent les visiteurs jusqu’à un paysage impressionnant et que de son sommet un phare signale et éclaire la manifestation.

Trente-cinq ans plus tard, en 1960, elle est fermée: le fait que le public se détourne des panoramas n’incite pas à investir des sommes considérables dans la rénovation des ascenseurs. Progressivement, l’existence de ce monument s’efface de la mémoire des touristes et des Grenoblois, d’autant que celle-ci est très rapidement accaparée par les formes « cinétiques » des trois tours voisines de l’Île Verte, symboles résidentiels forts de la période olympique.

Procédure

Démolir ou rénover ce jalon de l’histoire économique de la ville ? Dès le début du XXIe siècle, la question se pose avec d’autant plus de pertinence que l’édifice apparaît extérieurement très dégradé. Faut-il y voir le constat suggéré par la rénovation de l’église du Raincy : la faible capacité de l’entreprise Perret à mettre en œuvre correctement le béton ? Certains historiens soulignent en effet que des réalisations antérieures conçues par d’autres architectes et édifiées par d’autres entreprises sont toujours quasiment en parfait état et que les seuls édifices signés Perret demeurés intacts n’ont pas été construits par son entreprise comme l’immeuble d’habitation de la rue Franklin et l’actuel Conseil économique et social, place d’Iéna, tous deux à Paris.

Même s’il ne souffre pas de désordres structurels, le coût de la remise en état d’un tel édifice est élevé. Sous l’impulsion de la Ville, des études sont lancées en 2005 et 2012 afin d’établir un diagnostic précis de l’état du bâtiment et des travaux à réaliser et de les chiffrer.

Interventions

De trois millions d’euros pour une restauration complète des bétons de la tour à huit millions pour une remise en état permettant sa réouverture au public, les investissements varient en fonction des stratégies, de la simple réfection complète conjointement supportée par la Ville, l’État, la Région et des mécènes à une remise en service totale via la concession à un exploitant privé.

Assimilée à un signe mémoriel constitutif de l’identité d’une ville industrielle en expansion et symbole de la naissance puis de l’expansion du ciment dont l’entreprise Vicat fit sa spécialité, la Tour Perret est souvent confinée dans des énoncés quantitatifs. Haut de 80 mètres, son fût élancé est ceinturé par huit nervures à la géométrie subtile, subdivisé par trois anneaux de belles dimensions, répartis tous les 22 mètres, dont la plateforme sommitale au profil de soucoupe. Il est dominé par un lanterneau replet.  Ce fut est vêtu de 24 panneaux géants, chacun composé de motifs en forme d’écailles. De telles caractéristiques réduisent souvent cette tour à une fiche technique consignant les données chiffrées qui justifieraient l’intérêt porté à l’édifice. Or, de ce point de vue, la Tour Perret ne supporte pas la comparaison avec la magie des poutraisons extraordinaires de la Tour Eiffel, d’autant que sa peau de ciment se lézarde et se boursouffle, se délite et tombe, ses fers exposent aux intempéries la rouille qui les corrodent jusqu’au cœur…

Il faut pousser la porte pour saisir la magie du lieu : les sens sont confrontés à un espace sidérant par sa forme fuselée allant se rétrécissant, par l’enroulement ascendant régulier de l’escalier collé contre cette paroi incurvée, par le brusque surgissement d’escaliers s’enroulant sur eux-mêmes avec élégance pour inciter le pas à gagner plus rapidement un niveau supérieur et surtout par les faisceaux lumineux que le moindre rayon de soleil darde à travers le vide ménagé entre chaque écaille de la paroi… Cette nuée de spots naturels irradie ce volume, lui donnant une vie mouvante de pure poésie spatiale. L’objet statique se mue en un kaléidoscope géant, la peau martyrisée en derme somptueux, les vues en microtensions exacerbant les sens.

La construction cède le pas à l’architecture, la statique à la spatialité, le descripteur à la poésie. Tout le paradoxe de cette rénovation tient sans doute dans ce fait : il faut vivre l’espace intérieur pour savoir qu’il faut rénover cette tour. Or, le public ne pourra en être convaincu qu’une fois  la rénovation effectuée, ce qui lui laisse des mois d’incertitudes, d’agacement, de doutes et de résistance…

Traverser cet espace dans des ascenseurs vitrés constituera l’une des émotions spatiales les plus étonnantes offerte par un monument français. Ceci confirme que l’architecture ne se connaît véritablement que lorsqu’il est possible d’y accéder et de la parcourir à plusieurs moments de la journée… et de la nuit !

  • Maître d’ouvrage : Comité d’organisation de l’exposition
  • Maître d’ouvrage délégué : Section Tourisme
  • Architecte : Auguste Perret
  • Entreprise : Perret Frères
  • Projet  1923
  • Adjudication : 1924
  • Première pierre : 24 août 1924
  • Achèvement : 4 mai 1925

À voir/ À lire

  • « L’ordre du béton, la Tour Perret de Grenoble », Cédric Avenier, Craterre éditions, 2013
  • « Grenoble 1925, la grande mutation », catalogue d’exposition, 2016
  • « Auguste Perret », Joseph Abram, collection Carnets d’architectes, Éditions du Patrimoine
  • Site de la ville de Grenoble, conseil municipal du 7 novembre 2016 : www.grenoble.fr
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