Reconvertir
Téléphérique du Salève, Etrembières (Haute-Savoie)

> Descriptif opération


Voir ! Les années 1920 s’achèvent à Grenoble par l’édification de la Tour Perret offrant un triple panorama sur l’exposition grenobloise, la ville et les Alpes, depuis sa plateforme érigée à 60 mètres de hauteur. Les années 1930 débutent par l’édification de bâtiments aux formes singulières, la pose de câbles, le glissement de cabines… L’enjeu de ces aménagements, dont celui – pionnier – de l’Aiguille du Midi, n’est pas de faciliter l’accès aux pistes ou aux sommets mais simplement de découvrir autrement la ville où l’on réside, d’avoir un nouveau point de vue sur le quotidien. À Aix-les-Bains (le Revard, 1934), Annecy (Veyrier-du-Lac, 1935) entrent en service les téléphériques permettant à un nombre accru de personnes d’entrer dans l’univers que ne fréquentent alors qu’un nombre restreint de privilégiés, celui de « la vue d’avion ».

L’hygiénisme (l’air est plus pur en altitude), la libération des tenues vestimentaires, une certaine forme de convivialité joyeuse, et quelques conquêtes sociétales assurent le succès de ces nouvelles infrastructures.  Mais pour un temps seulement : le téléphérique du Revard est abandonné, livrant au vandalisme son admirable gare inférieure ; celui de Verrier du Lac  assiste à la destruction de sa  gare d’arrivée hors normes mais reconvertit habilement sa gare inférieure en Cinémathèque des Pays de Savoie.

Voir ! Même au prix d’une montée vertigineuse, de la rude vision du glissement continu des flancs d’une montagne labourée à la verticale par l’exploitation qu’en font les carrières, de cette gare d’arrivée qui s’avance comme pour mieux happer les corps contenus dans l’espace d’une cabine : entre France et Suisse, le téléphérique du Salève inauguré dès 1931 fascine toujours. Il a provoqué l’enthousiasme, puis il a vécu au ralenti, s’est même arrêté, a été remis en route, a de nouveau tanguer et détruit sa gare inférieure, survécu jusqu’aux années 2000 et connu un réel regain d’intérêt. Il est aujourd’hui promis à une renaissance lancée en 2018 par le jugement du concours d’architecture organisé pour la reconstruction de la gare de départ, la rénovation et la revitalisation de sa gare sommitale, missions confiées aux architectes Devaux et Devaux (DDA).

 

Intérêt
Dominant d’un millier de mètres d’altitude l’agglomération genevoise, le Salève constitue un balcon exceptionnel sur la ville, le lac, le bassin du Léman et les monts du Jura. Son attrait est tel que dès 1892 la première ligne régulière de chemin de fer électrique à crémaillère au monde permet d’y accéder. Plus rapide car plus directe, un téléphérique lui succède dès le début des années 1930. Auguste Fournier constitue le 2 septembre 1931, avec près de 300 actionnaires, la Société du Téléphérique du Salève (STS) qui finance de la construction et gére l’exploitation de l’appareil. La réalisation porte la  double signature du téléphériste André Rebuffel et de l’architecte Maurice Braillard. Ingénieur, André Rebuffel développe des téléphériques aux lignes aériennes qui, dépourvues de pylône, proposent des survols conséquents, et aux gares de béton dont les lignes avant-gardistes mettent en scène le voyage. L’architecte suisse Maurice Braillard, un professionnel réputé, est appelé pour finaliser le dessin des deux gares du Salève. Dans son projet initial, ce dernier prévoit de développer un imposant volume à l’arrière de la gare, répondant par sa verticalité à la puissance exprimée par la structure horizontale en porte-à-faux de la gare. Esthétique, sa proposition était aussi technique  (elle renforçait l’inertie de l’ensemble), pragmatique (un hôtel ainsi que les espaces techniques du restaurant y prenaient place) et poétique (un vaste restaurant panoramique s’installait au niveau supérieur de la gare). Ce véritable complexe devait se suffire à lui-même et s’imposer dans un paysage nu. Il lui sera préféré un projet plus modeste de restaurant adjacent au bâtiment amont.

Plus simple, la gare aval présente néanmoins des formes architecturales modernistes et se développe à l’avant du massif inertiel ancrant le téléphérique au sol. Sa partie avant est marquée par le porte-à-faux de deux bow-windows en quart-de-cercle et par un quai aérien se redressant vers de la montagne.

 

 

Les travaux s’engagent immédiatement. L’ingénieur français Fernand Decock, supervise les travaux. Les principales pièces techniques de la remontée (treuils et poulies) sont réalisées dans les Usines Beyer Frères de Saint-Dié. L’entraînement électrique est fourni par la société lyonnaise Patay et les câbles, par la Tréfilerie Câblerie de Bourg-en-Bresse). L’entreprise Malfroid, de Faverges, est chargée de la construction du gros œuvre des gares. Au terme de quinze mois de chantier, le téléphérique reçoit l’autorisation d’exploitation le 5 août 1932. Il transporte ses premiers passagers deux jours plus tard.

 

 

Caractéristiques de l’existant

La gare supérieure, un étonnant édifice en porte-à-faux sur le vide, capte toute l’attention.  Cette construction très aérienne est entièrement réalisée en béton armé laissé apparent. Sa forme résulte des contraintes techniques liées à la résistance mécanique incertaine du sol et de la technique de câblage du téléphérique.

La présence de poches révélées par les fouilles préalables au chantier conduit Georges Riondel, l’ingénieur civil, à créer un puissant cadre structurel en béton qui lui permet de reporter l’effort exercé par les câbles sur un noyau massif, solidement ancré au rocher, situé hors de la zone géologiquement instable mais loin à l’arrière des piliers de la gare.

En partant de ce cadre structurel en béton armé, Maurice Braillard développe de grandes portées, affirme la rigidité des structures, accentue le porte-à-faux, allège la masse construite, élimine les montants intermédiaires, sculpte le becquet d’embarquement, magnifie  l’arrondi du restaurant. En porte-à-faux au-dessus de l’abîme, campé sur de puissants poteaux,   l’édifice fascine. Ses admirateurs louent ses formes aérodynamiques, son élancement dans les airs, cette ode esthétique à la victoire sur le vide.  Ils admirent le restaurant comme suspendu aux nuages et ses 72 mètres linéaires vitrés en continu. «La gare du téléphérique évoque moins la vitesse de déplacement propre aux transports modernes qu’elle ne traduit une notion de décollement et de voyage en apesanteur: suggestion d’un glissement silencieux, sublimation de l’essence mécanicienne du système, suspension des mouvements de la cabine… Tout ceci se retrouve dans le dessin du restaurant, dont le bandeau vitré fait en quelque sorte décoller les bandeaux pleins… L’objet architectural se libère de la pesanteur, alors que les volumes portés nous ramènent à une image aérienne d’espace voué à la contemplation panoramique.» résume ainsi P. Marti.

 

Procédure

L’évolution de loisirs et le développement de l’automobile détournent l’intérêt du public pour la téléphérique  si bien que son exploitation, est stoppée en 1975 peu de temps après que la ville d’Annemasse l’ai racheté au prix du foncier. La constitution d’un groupement transfrontalier réunissant des fonds français et des financements du Canton de Genève permet d’engager des travaux de rénovation de l’installation en juillet 1982. L’évolution technique entraîne la démolition de la gare aval mais préserve la structure de la gare amont bien qu’elle l’habille d’éléments métalliques en contradiction avec son esthétique moderniste. Ultérieurement, cette dernière subira quelques autres transformations qui demeureront mineures. Le « nouveau » téléphérique du Salève est inauguré le 6 avril 1984.

Les travaux, la mobilisation transfrontalière  et l’intérêt d’Edmond de Rotschild, en charge de l’exploitation du téléphérique, n’endiguent pas la baisse de la fréquentation. Celle-ci plafonne autour de 80 000 voyageurs. En 2006, au regard de la situation financière, la ville d’Annemasse cède les installations pour 1 € symbolique à un Groupement local de coopération transfrontalière, composé de la République et Canton de Genève, d’Annemasse Agglo et de la commune de Monnetier-Mornex. Ce Groupement confie l’exploitation à  la société RATP Dev. Une politique commerciale offensive redonne un nouveau souffle au téléphérique dont la fréquentation atteint plus de deux cent mille passagers dès 2011.

 

 

Interventions

Cette relance de l’activité incite les propriétaires et l’exploitant à entrer dans un processus de valorisation de l’équipement. Le CAUE de Haute-Savoie est sollicité pour formuler des hypothèses de programmation. Sur les bases ainsi définies, une consultation est lancée fin 2017. Elle conduit à choisir en 2018 l’agence parisienne Devaux et Devaux.

L’analyse de celle-ci se concentre sur le potentiel toujours approché mais jamais exploité de la salle panoramique juchée sur la gare haute. « La salle haute reste intacte. Son volume, sa structure et ses ouvertures sur le paysage sont dans l’état où Braillard l’avait laissé en 1932 » constatent-ils.  Ils cèdent donc à l’invitation à y « placer le restaurant afin que ce point phare du projet de Braillard reprenne sa force au sein du programme d’accueil du public ». Bien qu’elle soit complexe à réaliser du fait de l’absence d’accès résultant de l’abandon du projet d’hôtel, « la mise en situation spectaculaire de la salle laisse présager un espace de contemplation d’exception ».  Il est impossible de ne pas convenir avec eux que « le restaurant y trouvera la splendeur de la vue et un lieu privilégié pour asseoir le visiteur. » Ce retour sur la mémoire de l’histoire tronquée du lieu permettra d’habiter «  la salle comme elle en avait vocation » et, au-delà, de redonner « toute l’attractivité au bâtiment monumental » et de « restituer le point culminant de l’ascension, véritable belvédère » sur le paysage du Léman, des Alpes et du Jura.

Les architectes lauréats de la consultation remarquent également que « l’utilisation du potentiel architectural et paysager et l’accueil du public dans de bonnes conditions n’ont pas atteint les enjeux à la hauteur du projet initial ». Il est effectivement flagrant que « la gare haute du téléphérique du Salève se trouve encombrée de constructions hétéroclites. Les aménagements extérieurs, la proximité de la couverture végétale et les nouveaux choix architecturaux ne permettent plus d’appréhender la splendeur du site ».  Dès lors l’enjeux est de « mettre en avant les terrasses et de dégager la vue sur le bâtiment du téléphérique ». Ils proposent de dédier l’aménagement autour du bâtiment de Braillard « au paysage et à la mise en valeur du monument ». À l’Est, ils proposent de créer des terrasses en gradin, chacune étant dédiée à une occupation spécifique : « le loisir en relation avec le flanc des parapentistes, la terrasse conviviale en relation avec l’accueil des visiteurs et le café moderne, la terrasse de contemplation en relation avec celle sur la galerie d’arrivée et de plein pied avec la montagne ». Évoquant la topographie du lieu, ces terrasses ramènent le téléphérique à son état achevé de 1932 où la vue s’ouvre sur le bâtiment-pont de Braillard et sur le vide qu’il embrasse.

Enjeu moins spectaculaire mais important car espace de travail et lieu de premier contact du public avec le téléphérique, la gare basse doit être reconstruite, le bâtiment qui a succédé en 1984 à la gare conçue par Maurice Braillard n’étant pas à la hauteur des enjeux actuels en termes de fonctionnalité, d’esthétique et de relation avec l’environnement.

 

Indépendamment de l’intérêt majeur pour le site et pour l’architecture de la gare haute, le premier contact avec le téléphérique du Salève se fait en gare basse. Au vu de l’actuelle construction qui remplace le bâtiment construit par Braillard, il importe d’améliorer son image et les conditions d’accueil et de travail de façon globale et cohérente.

La gare basse de Braillard a été totalement détruite après restructuration complète des équipements techniques du téléphérique en 1984. Son architecture avait été dessinée à l’échelle d’un équipement urbain et homogène à la construction de la gare haute bien que moins spectaculaire. La nouvelle construction de 1984 n’a pas réussi à compenser la perte de la qualité architecturale de la gare basse et là non plus, l’amélioration de l’image et de l’accueil du public n’ont pas atteint la hauteur des enjeux.

La requalification de la gare basse prévoit d’améliorer les conditions d’accueil par un abri généreux et par un aménagement paysager propice. L’environnement est considéré large pour que l’équipement réponde par un grand auvent au contexte urbain dominé par le stationnement. Les espaces paysager le placent dans un écrin végétal à l’abri des automobiles et de l’autoroute.

La gare basse regroupe les locaux de travail du personnel sous le même abri. Elle les protège des nuisances liées au flux public et aux installations techniques en favorisant un cadre de vie tourné vers son propre environnement paysager.

 

MAÎTRISE D’OUVRAGE

Groupement local de coopération transfrontalière du Téléphérique du Salève, Etrambières.

 

MAÎTRISE D’ŒUVRE

Devaux & Devaux architectes mandataires,

Pascal Olivier paysagiste,

Laure Geneste, architecte d’intérieur,

©2017 URCAUE Auvergne-Rhône-Alpes