Reconvertir
Sanatorium, Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

> Descriptif opération


Dominant l’agglomération clermontoise depuis les escarpements du Puy de Chanturgue, le Sanatorium Sabourin (du nom du médecin spécialiste de la tuberculose à l’origine de sa construction) connaît une nouvelle évolution : il est reconverti pour accueillir l’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand, l’une des vingt Ensa de France. Son parcours chaotique n’a pas affecté fondamentalement les qualités de cet édifice, né d’un concours infructueux, signé par un architecte et revendiqué par un autre, bombardé, reconstruit, devenu un hôpital, désaffecté, squatté et vandalisé, abandonné, promis à la démolition, classé comme Monument historique et enfin reconverti. Sa faible épaisseur et son exceptionnelle longueur, le fin travail d’écriture de ses façades, son apparente unité matérielle, contribuent à l’imposer dans le paysage clermontois, à le placer comme l’un des éléments remarquables du patrimoine du XXe siècle en Région Auvergne-Rhône-Alpes, et à le constituer comme l’un des éléments du renouveau des quartiers nord de la ville. Confiée à la suite d’un concours à l’agence constituée par Pierre Du Besset et Dominique Lyon, l’intervention a associé reconversion et construction. La reconversion a notamment dû conjuguer l’intégration d’un programme de travail en groupes dans un édifice conçu pour des soins individualisés, les adaptations aux normes environnementales, d’accessibilité et surtout sismiques dans une construction hétérogène, inverser la disposition des locaux et des circulations pour des questions d’éclairement naturel. La construction a permis de réaliser les extensions nécessaires aux espaces collectifs et l’ensemble est inscrit dans un site restitué.

Caractéristiques de l’existant

Fin 1929, la commission administrative des Hospices civils de Clermont-Ferrand décide d’organiser un concours pour la construction d’un sanatorium en périphérie immédiate de la ville pour accueillir les deux cents tuberculeux  (cent cinq hommes, soixante-seize femmes, dix-neuf enfants) qui ne trouvent de place ni à l’Hôtel Dieu de la ville, ni dans les sanatoriums de la région dont celui fondé sous statut privé par le Docteur Sabourin à  Durtol. Un site sur les pentes du Puy de Chanturgue, en limite nord de l’agglomération, est retenu en fonction de son altitude, voisine de 400 mètres et de ses caractéristiques climatiques, l’air y étant peu humide l’hiver, frais et pur pendant l’été. Le concours pour la conception de l’édifice est déclaré infructueux, le juré désigné par la Société centrale des architectes reçoit la commande car il est devenu architecte des Hospices civils et la paternité de son projet est ultérieurement partagée avec un tout jeune architecte local, Valentin Vigneron. Néanmoins c’est la signature de Albéric Aubert qui demeure liée à la création de cet imposant édifice fonctionnaliste, aussi étroit que long, aux lignes puissantes et aux volumes immaculés qui surgit du coteau.

Affirmant son fonctionnalisme, il est mis en service fin 1936 et présente des innovations pratiques et constructives, et tire adroitement parti dans son organisation intérieure de la pente à 25 % où il vient s’encastrer pour mieux en surgir. Dents de scie des fenêtres du premier étage, décroché du plan du troisième étage pour créer des terrasses en prolongement des chambres, solarium sommital traduisent l’asservissement des lignes générales de l’édifice à sa vocation médicale.

Bombardé en mars 1944, l’édifice restera en travaux de reconstruction à l’identique jusqu’en 1950.  Les progrès des soins de la tuberculose par les antibiotiques conduit à transformer le sanatorium en hôpital spécialisé en pneumologie au cours des années 1960. Le remaniement des équipements sanitaires de l’agglomération clermontoise conduit au transfert de ses services en 1995 et à  la fermeture définitive de ses bâtiments en 1997.

Procédure

Bien que le sanatorium Sabourin se rattache à des établissements de la Région Auvergne Rhône-Alpes qui sont toujours célébrés pour leur radicalité moderniste tels les sanatoriums du plateau d’Assy en Haute-Savoie (Guébriant, Roc des Fiz, Martel de Janville) ou ceux de Hauteville-Lompnès dans l’Ain, en Juillet 1998 la Ville délivre au CHU un permis de  démolir d’un établissement classiquement vandalisé et squatté durant deux décennies. Pour le sauver, deux démarches complémentaires sont engagées. La première vise à le protéger : une procédure de classement au titre des monuments historiques est introduite et se concrétise en mars 2000 à la suite de l’action initiale de personnes décidées à sauver l’ex sanatorium. La seconde vise à lui trouver un nouvel usage : l’idée d’y transférer l’école d’architecture installée depuis les années 1970 dans des locaux vieillissants d’une ancienne école de Chimie se précise au point que l’État acquiert le bâtiment en 2004. En 2007, cinq architectes de renom sont sélectionnés pour mettre en forme le programme de reconversion : Antoine Stinco qui a achevé la rénovation de la Maison de la Culture de Grenoble, Mathieu Poitevin et Pascal Raynaud qui travaillent sur la friche de la Belle de Mai à Marseille, Fabre/Speller qui ont notamment rénové le TNP de Villeurbanne, Dusapin-Leclerq dont c’était le premier questionnement sur une reconversion à cette échelle, et Du Besset-Lyon qui avaient notamment travaillé, en matière de reconversion, sur la Grande Bibliothèque de Strasbourg, sur la reconstruction du bâtiment des fermiers généraux sur le bassin de La Villette à Paris et fait une proposition en 2007 pour la construction de la Bibliothèque de Clermont-Ferrand.

Interventions

Le 10 juillet 2008, le jury retient la proposition de ces derniers. Sept ans seront encore nécessaires pour livrer l’édifice reconverti à la direction de l’école. Pour une dépense située entre 20 M€ HT et 31 M€ HT selon les sources, la ruine vandalisée retrouve progressivement – entre 2010 et 2015 –  la radicalité de l’édifice d’origine.

L’intervention concerne la relation de l’édifice à son environnement paysagé, le degré du respect de son identité architecturale, l’intégration des contraintes liées à l’édifice existant, aux usages nouveaux et aux réglementations actuelles ainsi que l’adaptation aux nouvelles fonctions. Ce ne sont pas ses dimensions qui caractérisent ce chantier puisque la réhabilitation concerne moins de la moitié de la surface totale de l’école (4 800 m2 sur 11 500 m2) soit le dixième du chantier du New Deal à Lyon (voir dossier dans la posture Reconvertir) ce qui reviendrait à constater que le travail fut plus celui d’une extension et aurait été considéré comme tel si l’ancien sanatorium ne dégageait une telle puissance.

Les architectes ont effectivement réinscrit – voire renforcé – le bâtiment dans son site, notamment en mettant le terrain naturel retraité à distance de la façade sud et en dégageant un parvis devant la façade nord, l’un et l’autre étant mis en relation à travers les volumes construits. De fait, l’intervention est paradoxale puisque l’on découvre l’édifice non par sa façade illustrant le mieux sa dimension patrimoniale, la façade sud, mais par celle devant laquelle ont été regroupées les extensions contemporaines (bibliothèque, hall, salle d’exposition, escalier monumental, amphithéâtres) la façade nord. La continuité créée depuis le parking et la rue grâce à ce parvis, la destruction du bâtiment en retour auquel s’est substituée la grande boîte événement abritant le hall, l’escalier monumental et le troisième amphithéâtre, l’évidement optique ménagé dans ce volume par la vêture réfléchissante adoptée, les lignes basses vitrées de la bibliothèque et de la galerie d’exposition mettent en valeur les lignes horizontales de l’ex-sanatorium. S’établit entre les deux un dialogue d’esprit qui évite à la fois une architecture d’accompagnement et le choc d’une rupture résultant d’une architecture d’esprit opposé. Dans les étages, l’inversion de la position des circulations permet de rejoindre son studio de projet en bénéficiant d’un spectacle panoramique sur la ville voisine, d’être en relation fluide avec les prolongements extérieurs (la passerelle pour rejoindre le parc, une terrasse…)  et d’interposer un espace tampon entre la façade sud et les locaux d’enseignement. Ce faisant, les architectes réveillent l’image des anciens établissements scolaires, avec leurs longs couloirs longeant des classes, hier entr’aperçues,  ici totalement visibles à travers les vitrages. Il règne ici une grande clarté, au sens de la luminosité mais aussi de la lisibilité des parcours, liée à la relation permanente du regard avec l’extérieur et sans doute à cette transparence généralisée qui fait que tout est identifiable d’un coup d’œil, à l’exemple de la bibliothèque mise en articulation entre le parvis et le cœur de l’école, comme une introduction à la connaissance, une incitation à ne pas oublier les savoirs contenus dans les rayonnages, une sollicitation aussi au monde extérieur à venir jusqu’ici se documenter et s’enrichir de connaissances que la profession s’efforce désormais de partager. Et, morceau de bravoure usuelle de l’architecture, l’escalier vous attend dès la porte monumentale franchie, nimbée d’une lumière zénithale efficace même par ces jours gris.

L’ensemble produit un effet mélangé d’une actualité de l’architecture qui ne règne pas seulement dans les  extensions 2010 mais aussi dans les espaces 1930 rénovés. Le patrimoine semble en effet être simplement chuchoté dans les espaces anciens par la survivance d’un carrelage, le dessin d’un escalier secondaire. Car, en dépit de la scansion du rythme caractéristique des ouvertures de la façade sud qui accompagne la déambulation intérieure, l’œil est en priorité sollicité par les espaces d’enseignement disposés au nord, et dont les cloisons vitrées mettent en scène les puissantes structures métalliques imposées par de la réglementation sismique. Elles sont ici exhibées à tous les étages, comme elle le sont sous les pilotis du centre de recherche d’IBM à La Gaude. Elles sont d’autant plus prégnantes qu’elles introduisent un ordre contemporain oblique dans un univers  poteaux poutres tels que nous les restituent les reportages sur les chantiers Hennebique dès les années 1898. Leur présence résume à elle seule la complexité réelle d’un tel chantier, sa grandeur réelle que masque totalement l’harmonieuse simplicité monochrome de l’ensemble. Ceci rend totalement accessoires quelques misères périphériques dont les confrères locaux des deux architectes parisiens se gausseront jusque dans la presse professionnelle nationale au soir même de l’inauguration.

Mais emboîter dans les volumes de l’autre deux fonctionnalités aussi différentes qu’un hôpital des tuberculeux et une école d’architecture est une commande rarissime. Au seuil du siècle du XXIe siècle, l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes a déjoué la question de la rénovation de ses propres locaux conçus trente ans plus tôt en métal par Evano et Pellerin, en lisère du campus universitaire Droit-Lettres : elle a convié Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal à lui inventer un immeuble au temps présent au cœur du nouveau destin de la métropole ligérienne, l’Île de Nantes. Celle de Paris Val-de-Seine a joué la parité en incitant Frédéric Borel à accoler ses propres volumes chahutés aux formes typées d’une ancienne usine d’air comprimé. Du Besset et Lyon ont surmonté un exercice particulièrement délicat puisqu’ils intervenaient sur l’un des emblèmes architecturaux d’une typologie née, développée et abandonnée en moins d’une centaine d’années, le sanatorium ; qu’ils ne disposaient d’aucune référence de reconversion d’un équipement hospitalier en centre d’enseignement supérieur sur lequel prendre appui ; ils devaient mettre en forme le programme d’une école nationale supérieure d’architecture dans un moment d’évolution institutionnelle forte de celle-ci tant en matière de pédagogie (rattachement aux autres cursus universitaires via la réforme dite LMD – licence, master, doctorat -) que de relation aux modes d’exercice professionnels (habilitation) et de possibilités de carrières professionnelles à l’issue de l’obtention du diplôme. Et ils devaient accomplir cela dans un édifice contraignant comme peu le sont : dix mètres de large et cent mètres de long. Revenu d’outre-tombe (le permis de démolir signé, les actes de vandalisme perpétrés), l’édifice atteste aujourd’hui du bien fondé des actions entreprises par ceux qui entendaient le sauver, des réflexions de ceux qui lui ont trouvé une nouvelle vocation et en ont assuré le financement, de la compétence des architectes et des entreprises qui lui ont redonné vie.

  • Maître d’ouvrage : Ministère de la Culture et de la Communication
  • Maître d’ouvrage délégué : Oppic
  • Architectes : Agence Du Besset-Lyon
  • BET structures : Khephren
  • BET fluides : Espace Temps
  • Economiste : Jean-Claude Drauart
  • BET VR : Atpi Indra
  • Acousticien : Jean-Paul Lamoureux
  • Sécurité : Casso et associés
  • Surface totale : 11 500 m2 dont reconversion  4 500 m2, extension  6 500 m2
  • Gros œuvre : Léon Grosse
  • Montant des travaux : 20 M€ HT
  • Concours 2008
  • Attribution du marché : 2010
  • Début des travaux : 2012
  • Mise en service juillet : 2015

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