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Résidence 2000, Valence (Drôme)

> Descriptif opération


Après deux décennies de tours et de barres, donner une autre forme aux bâtiments d’habitation n’est pas aisé. C’est néanmoins à quoi s’attèlent l’État et ses services déconcentrées, les maîtres d’ouvrages sociaux, les entreprises et les architectes dès le milieu des années 1960. Il faut conserver les qualités du collectif en changeant d’échelle, passer des monolithes uniformes à des formes complexes. Il convient de se libérer de la présence des voitures et des surfaces bitumées,qui ne cessent de croître, en intégrant les parkings au bâti et en végétalisant les espaces jusqu’au pied des constructions. Il est souhaitable de répondre au désir de vie en extérieur et de relation à la nature manifesté par les personnes adoptant une vie péri-urbaine en offrant des terrasses d’une surface généreuse et des jardinières de dimensions telles que puissent s’y développer plantes et arbustes de belle taille. Il est impératif de prévenir toute promiscuité visuelle en traitant par des écrans matériels ou végétaux toutes les co-visibilités potentielles. Ces avantages doivent être apportés tout en préservant une densité qui participe à un cadre urbain et permet de supporter des charges foncières en hausse permanente.

Cette forme d’habitats groupés préserve l’expression d’une modernité devenant plus chaleureuse tout en lui apportant une véritable relation quotidienne avec l’extérieur et une dimension verte. Elle est particulièrement appropriée pour assurer une transition urbaine entre centres anciens ou grands ensembles et quartiers nouveaux dans des villes de toutes tailles. Elle se situe donc à l’opposé de la figure vernaculaire des « maisons de ville » qui colonisent les espaces des Villes nouvelles en réduisant à l’extrême la surface des parcelles et en jouant avec les archétypes urbains et architecturaux dont ceux des maisons flamandes et des béguinages.

Ainsi,  le débat oppose de façon implicite les tenants d’une approche par une forme urbaine classique avec ses places et ses rues, à ceux d’une approche par les qualités propres aux logements, à ses accès, à ses dispositions intérieures, à ses prolongements dimensionnés de sorte qu’ils puissent apporter un réel confort d’usage sans gaspiller le foncier en minimisant les réseaux et les voiries.

L’agence parisienne Andrault-Parat, adossée à l’entreprise Bouygues, impose successivement ses Maisons individuelles superposées (MIS), puis ses Maisons gradins-jardins dans de très nombreuses opérations, dont certaines en Région Auvergne-Rhône-Alpes, notamment à Ambérieu-en-Bugey, Amphion-les-Bains, Bourg-en-Bresse, Grenoble-Échirolles, L’Isle d’Abeau, Meylan, Meythet, Meyzieu, La-Tour-du-Pin et Voiron.

L’architecte grenoblois, Maurice Blanc (1924-1988) participe à cette tentative de renouvellement de l’habitat. Il est essentiellement connu pour le théâtre en rond (1958) et le cimetière de la Falaise à Sassenage (1970), l’église Saint-Jean (1964) et la Faculté de droit et de Sciences économiques à Grenoble (1964) ainsi que la villa de l’industriel Parrot au Lavandou (1962). Mais, on lui doit également un habitat intermédiaire, baptisé « Résidence 2000 », mis en œuvre lors d’opérations à Grenoble, Poisat, Chambéry et Valence mais aussi à l’Isle-d’Abeau sous le nom spécifique de « Roches 2000 ».

Descriptif de l’opération

Valence est, chronologiquement la dernière des Résidences 2000 dont l’ambition est demeurée constante. La revue « La Construction moderne » dans son numéro d’automne 1978 en donne une juste définition :  « Permettre un mode de vie relativement proche de l’individuel , tout en restant dans les prix courants des collectifs et les prix plafond du Crédit Foncier ». Le même article insiste sur le nombre réduit de logements desservis par le même escalier, l’accès direct aux logements situés à rez-de-chaussée, l’ampleur des terrasses prolongeant chaque appartement, l’intimité totale garantie par les jardinières et les écrans pare-vues, l’intégration des garages en sous-sol, une trame constructive économique (5,40 x 5,40 m) et une combinaison d’éléments coulés en œuvre et d’éléments préfabriqués sur le chantier par l’entreprise Cuynat.

Le portail collaboratif PSS1 synthétise les caractéristiques de la Résidence 2000 de Grenoble : « Composé d’une trame dense et complexe d’habitat intermédiaire, cet ensemble propose des logements imbriqués, toujours individualisés et possédant un vaste espace extérieur en extension des pièces de vie et articulé avec le paysage par une puissante jardinière intégrée ».

Ces qualités se retrouvent à Valence avec néanmoins quelques évolutions.

Caractéristiques de l’existant

Un architecte célèbre, André Gomis (1926-1971) est chargé d’étudier à partir de 1963 l’extension urbaine dont Valence a décidé de se doter en 1962. Cette ville doit faire face à l’accroissement accéléré de sa population, passée de 39 000 habitants en 1954 à plus de 64 000 en 1968 pour atteindre, selon les projections effectuées alors, 91 400 habitants en 1980. Aussi, l’ambition affichée est grande : l’aménagement concerne 236 hectares, la construction de 7 500 logements (7 000 collectifs et 500 maisons individuelles) et d’un ensemble conséquent d’équipements collectifs, de commerces, de bureaux et d’implantations industrielles…

Dénommée Valence-le-Haut, ce nouvel ensemble péri-urbain est réparti en deux vastes zones de développement, séparées par un parc de 25 hectares, qui sera doté de deux châteaux d’eau gémellaires, de formes torves, conçus par le sculpteur Tloupas Philolaos.

La mort d’André Gomis en 1971, le transfert l’année suivante de la maîtrise d’ouvrage de cet ensemble urbain de la Ville (dirigée par Roger Ribadeau-Dumas) à la Société d’Équipement de la Drôme (SEDRO) présidée par Maurice Pic, la révision à la baisse des objectifs de construction (de 7 500 à 4 000 logements), n’affecteront pas la constructibilité des quatre parcelles, formant un arc de cercle en lisière nord du parc.

Dès la mi-juin 1972 apparaissent sur l’esquisse du Plan organique d’aménagement des abords du parc établi par Jean Rognon, collaborateur d’André Gomis, un ensemble de formes évoquant le futur ensemble résidentiel édifié par Maurice Blanc.

Le 31 mai 1974, la SEDRO cède à la SCI Résidence 2000, constitué par la société grenobloise de promotion immobilière Arc Foncière, elle-même filiale de la Compagnie alpine et rhodanienne d’études et d’interventions foncières que dirige Pierre Heymann, le droit à construire 54 logements, selon une densité nette de 127 logements à l’hectare pour un prix de 12 000 F. par logement, auquel s’ajoute une contribution de 300 F., également par logement, au programme d’équipements socioculturels.

Se trouve ainsi reconduit à Valence le tandem Pierre Heymann-Maurice Blanc qui achève alors la réalisation des cent-vingt logements situés en vis-à-vis du parc de la Villeneuve de Grenoble.

Procédure

Le plan masse traduit une recherche de rigueur économique drastique : un bloc de trois appartements superposés est reproduit 18 fois. Ce bloc génère une forme d’ensemble diversifiée et animée simplement par l’association de blocs simples et de blocs inversés, par leur décalage en plan et par leur division selon quatre grappes séparées par des venelles. Si bien que semblant relativement strictes sur la façade nord longée par la route de Montelier, les volumes s’épanouissent sur le parc auquel ils offrent un front bâti bas, fragmenté, mouvant, et abondamment végétalisé. Cette rationalité s’applique aux montées d’escalier, un volume extérieur circulaire, et à la répétition des types de logements, ayant respectivement une surface de 94 m2 au rez-de-chaussée, 104 m2 au premier étage, 84 m2 au deuxième étage. Seules variations, chaque type d’appartement existe en « normal » et en « inversé », trois appartements sont en duplex pour former le couronnement de trois des quatre grappes et le nombre de terrasses, soit une de 15 à 25 m2 soit deux de 20 m2.

Bien qu’ils semblent tous différents vus de l’extérieur, les appartements sont, par types, similaires dans leur organisation intérieure, les relations entre fonction et les surfaces habitables et la surface des terrasses. Autour d’un bloc central cuisine, salle d’eau, toilettes, buanderie, se répartissent, sous forme d’ailes opposées :  le séjour d’environ 25 m2 prolongé par deux ensembles terrasse /jardinière d’environ 35 m2 chacun;  un bloc de deux petites chambres (11 et 8 m2) dont l’une ouvre sur la terrasse partagée avec le séjour ; un second bloc de deux chambres  (12,5 m2).

De larges jardinières, des écrans maçonnés verticaux en bout de terrasse et des éléments industrialisés disposés sous certaines fenêtres masquent les vues sur les autres terrasses.

Séduisant, le projet ne cesse de rencontrer des difficultés. Le promoteur hésite sur le marché immobilier à Valence : il abaisse le nombre de logements de 60 à 57 puis à 54… La société d’équipement de la Drôme ajuste ses propres projets d’équipements collectifs : ils impactent sur la limite de constructibilité du terrain obligeant à modifier le plan de masse et empêchant l’entreprise de gros œuvre d’implanter les futurs bâtiments. Le projet de parc se dessine parallèlement, ce qui fait évoluer le contexte du projet dès 1972, si bien que Maurice Blanc tempête lorsque l’architecte en charge de la ZUP modifie le plan de masse et réduit la hauteur constructible de quatre à trois niveaux : « J’ai essayé de respecter les éléments tout à fait nouveaux que sont pour moi l’apparition d’un réservoir, d’une butte, d’un mail piéton et d’une pièce d’eau ! ». La Société Auxiliaire d’Entreprises (SAE), adjudicatrice du gros œuvre se montre défaillante, sans doute par méconnaissance de ce type d’architecture. Le constat est sévère : les murs et planchers ne sont pas plans, les bétons ne sont pas conformes, les installations électriques défaillantes… S’y ajoutent le fait que les menuiseries des fenêtres, les bétons des murs de façade et des terrasses laissent passer l’eau… Si bien que dès les huit premiers logements de la première tranche livrés, une cascade de récriminations s’abat sur le promoteur. La seconde tranche, alors en cours de réalisation, devient de ce fait le lieu d’affrontement hebdomadaire entre l’architecte, son client et l’entreprise…

Interventions

Par son emplacement face au parc, ses formes « à taille humaine », ses terrasses végétalisées, cette réalisation suscite un intérêt permanent.

Côté parc, une végétation, parfois trop luxuriante, s’est développée dans les jardinières. Côté avenue, largement arborée, se remarquent de petits parkings, également arborés, d’une rare forme circulaire, également conçus par Maurice Blanc. Ils sont implantés dans le domaine municipal, la copropriété ne possédant qu’une bande d’un mètre de largeur devant les façades.

Les travaux d’isolation par l’extérieur ont constitué l’occasion de substituer à l’ocre et au blanc d’origine, conformes à la palette de la ZUP établie par André Gomis, une palette colorée vert clair.  Les changements des portes des garages individuels, la fermeture des accès aux tours des circulations verticales, n’ont pas modifié sensiblement l’esprit de l’architecture de Maurice Blanc.

Intérieurement, le relevé systématique des appartements effectué en 2011 montre une grande stabilité de leur disposition, alors que les cloisonnements aisés à détruire autorisaient l’évolution des espaces. Il est ainsi potentiellement possible de créer une pièce à partir de deux chambres, de transformer deux autres chambres en prolongement de la cuisine, d’adjoindre une belle salle à manger à la cuisine par reconversion d’une chambre, voire de créer un vaste loft… Plus classiquement, ce sont les revêtements de sol, les revêtements des murs et des plafonds,  l’équipement des cuisines et des salles de bains qui ont évolué.

Si certaines des difficultés constatées après la réception ont été résolues au fil du temps, les jardinières posées directement sur les terrasses constituent toujours des points d’infiltration… La disposition adoptée par Andrault-Parat, les jardinières reposant sur des pieds qui les détachent du sol et permettent une ventilation entre le bac de béton et les dalles de revêtement, semble avoir été plus judicieuse.

L’évolution du confort thermique a été adroitement traitée après une longue réflexion sur la stratégie à adopter : seules les chambres exposées au nord et les pignons ont été isolés selon une solution par l’extérieur et toutes les menuiseries remplacées. Ces travaux se sont accompagnés d’une évolution du mode de chauffage : jugé peu attractif en termes de coût et de maintenance, le chauffage urbain a été abandonné au profit d’une chaudière gaz propre à la résidence.

 

 

Note de bas de page :

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