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Palais du Lac, Vichy / Bellerive-sur-Allier (Allier)

> Descriptif opération


Bien que sa silhouette ondoyante, posée sur le long plan de verdure des berges du Lac d’Allier, le transforme en signal potentiel, et qu’une activité régulière en fasse le point de convergence d’un nombreux public, le Palais du Lac constitue un objet architectural méconnu et cependant esthétiquement, fonctionnellement et techniquement intéressant.

Descriptif de l’opération

Ville thermale, Vichy se veut sportive pour distraire ses curistes et favoriser leur mieux-être corporel.

Dans les années d’après-guerre, Pierre Coulon (1913-1967) entreprend, en véritable « maire-bâtisseur », de développer un plateau sportif face à rivière, transformé en vaste plan d’eau, le Lac d’Allier, constitué grâce à un nouveau pont-barrage.

Cet élément d’agrément est aussi un espace structurant. Côté Vichy, de nouveaux ensembles immobiliers s’érigent sur des berges protégées par des digues rehaussées. Un port de plaisance est édifié et doté d’un emblématique club house circulaire. Sur la rive opposée, territoire de la commune de Bellerive-sur-Allier, un ambitieux ensemble d’équipements est programmé sur un site de plus d’une centaine d’hectares. L’étude de son aménagement est confiée à deux architectes locaux, Louis Marol et Louis Turlier. La démarche est confirmée en février 1961 et la conduite de la réalisation est confiée l’année suivante au syndicat intercommunal Vichy-Cusset-Bellerive également présidé par Pierre Coulon.

Le plan masse, encore provisoire, établi en février 1964 exprime toute l’ambition du projet. Y figurent en effet une piscine et une patinoire associées à un grand restaurant, un complexe lié à l’aviron (Cercle des rameurs, halle des bateaux, tribunes couvertes pour le public et les chronométreurs), un parcours de kayak, une vingtaine de terrains de sports et de plateaux sportifs avec leurs vestiaires, un Centre de ressources, d’expertise et de performance sportives (CREPS). Leurs sont associés un centre médico-sportif et des immeubles destinés au logement des athlètes. Une Maison de la Jeunesse, caractérisée par son théâtre de plein-air articulé au pignon du bâtiment principal caparaçonné de céramiques, est également construite.

Le cours de l’Allier est remanié pour permettre l’implantation de six lignes d’eau, d’une longueur de deux kilomètres, indispensables à l’organisation de compétitions internationales d’aviron.

Ce grand plan d’aménagement implique en effet d’achever la domestication de l’Allier. Comme la Loire, cette rivière connaît de violentes crues, une particularité qui conduit la ville à s’en protéger pour se développer. À partir de 1862 sont érigées des digues puis un barrage à aiguilles qui s’avèrera insuffisant. Si les années 1930 apportent l’idée d’un grand bassin lié à la construction d’un pont-barrage, ce n’est qu’en 1957 qu’est réellement entreprise l’étude d’une telle réalisation. Elle se concrétise au tout début des années 1960 : le conseil municipal valide le projet d’un barrage long de 220 mètres associé à un pont. Cet ensemble est réalisé par l’entrepreneur lyonnais André Borie, connu pour le percement des tunnels de Fourvière et du Mont-Blanc. Le 10 juin 1963,  Pierre Coulon « appuie sur le bouton de la première vanne-clapet » du barrage et trente-six heures plus tard le Lac d’Allier est formé. Cette retenue de trois millions de mètres cube forme un plan d’eau long de quatre kilomètres, large de trois cents mètres,  pour une profondeur variant de 2,50 à 4 mètres. Trois ans plus tard, le 11 mai 1966, il inaugure, à quelques centaines de mètres de là, le  « Palais du Lac ».

Caractéristiques de l’existant

Architecte exerçant à Vichy, Louis Marol (1902-1969) se voit confier l’étude et la réalisation de cette évolution urbaine majeure dans laquel figure le projet d’une halle polyvalente. Il en finalise les plans entre mars 1964 et avril 1965 et en surveille l’exécution de l’été 1965 au printemps 1966.

Cette réalisation présente une double particularité : elle est dimensionnée pour accueillir les bateaux des compétitions d’aviron mais elle est simultanément pensée pour abriter des manifestations de tous ordres.

S’il s’agit pour la municipalité d’offrir un plan d’eau favorable aux activités des pratiquants locaux d’aviron, son ambition réelle est internationale : en octobre 1959, une délégation visite les installations d’aviron d’Amsterdam et de Duisbourg puis les garages à bateaux de Macon. Son but est d’accueillir les plus grandes compétitions d’aviron, ce qui impose de créer un hangar pouvant abriter les 16 bateaux des nations affiliées à la Fédération internationale des sociétés d’aviron (FISA), soit une construction de plus de 100 mètres de long sur plus de 25 de large… Mais elle prend conscience que ce grand volume, seulement utilisé de façon épisodique par l’aviron, peut se prêter à d’autres usages. C’est ce que prouve la notice descriptive établie par Louis Marol en septembre 1964 :  « Grâce à un dispositif de cloisonnement mobile, l’ensemble peut se transformer en une surface libre à rez-de-chaussée pouvant être utilisée pour des réunions de masse telles que expositions, salons, floralies, banquets, présentations de groupes, etc ».  Dans ce même texte, l’architecte insiste sur la grande hauteur disponible, permettant « l’exposition d’arbres des pays chauds ou tous autres éléments de hauteur importante ».

L’article publié dans le journal « La Montagne » le lendemain de l’inauguration officielle du Palais du Lac confirme cette polyvalence native : « Avant les trois coups des congrès, l’immense vaisseau de bois, de béton, de lumière et de verre a été lancé».

Ce hangar est implanté selon l’orientation Est-Ouest imposée par celle de la berge du Lac d’Allier. Il est tenu en retrait de cette même berge pour ne pas masquer la progression des bateaux qu’observe le public, depuis une tribune disposée en diagonale par rapport à la berge, et les juges, depuis celle qui leur est réservée, accolée à la précédente. Cette mise à distance permet aussi de déposer les bateaux sur le sol en attendant leur mise à l’eau dans un bassin aux tracés géométriques spectaculaires.

À partir d’un programme répétitif, pauvre en éléments sur lesquels l’esprit créatif peut rebondir (seize portes identiques par façade, seize espaces strictement similaires pour ranger les bateaux, deux réserves latérales, seize cellules regroupant un vestiaire, une douche, une salle de massage, seize cellules de dépôt à rez-de-chaussée), l’architecte conçoit un édifice simple mais spectaculaire. De plan trapézoïdal, il se caractérise par le déploiement des courbes d’une toiture posée sur une charpente en bois lamellé-collé. Chacune des vingt-deux poutres repose, côté lac, sur une béquille en béton attentivement banché et, côté parking sur les voiles de béton séparant les espaces intérieurs superposés (réserves et cellules sportives). D’une portée entre appuis de 24,80 m, ces poutres se relèvent extérieurement pour former un auvent protecteur large de 6,20 m. Elles se déploient symétriquement de part et d’autre d’un hall central traversant dont la toiture est surélevée. Cette disposition en trois séquences brise tout effet d’uniformité lié à la silhouette de l’édifice dont la masse demeure faible dans l’immensité du site. Espacées de 5 mètres, ces poutres se terminent selon une forme analogue à celle d’un bréchet d’oiseau. Partant d’un matériau très fréquemment mis en œuvre à l’époque selon des formes accentuant l’impression de stabilité des salles de sport et plus particulièrement des fameux Complexes sportifs évolutifs couverts (Cosec), Louis Marol parvient à créer un véritable effet de légèreté, de fluidité qui singularise extérieurement l’édifice, tout en libérant entièrement son espace intérieur. Cette caractéristique lui vaut d’être comparé à une pagode chinoise par le journal « La Tribune » qui présente l’édifice au stade des travaux de gros œuvre pratiquement achevés.

Faut-il voir dans cette affirmation dynamique de la structure de l’édifice une intervention de l’architecte Yervante Toumaniantz (1907-1969), cosignataire avec Louis Marol de la Maison des Jeunes voisine, achevée en 1967 ?

Procédure

Inauguré un an avant les championnats d’Europe d’aviron de 1967, le bâtiment est un moment pressenti pour accueillir l’équipe de France d’aviron. Puis, il est concédé, après leur fusion, aux deux clubs locaux d’aviron, devenus le Club de l’Aviron de Vichy. Ne parvenant pas à en assumer les charges, ceux-ci le restituent à la Ville qui en concède l’exploitation, courant 1968, à l’Office de tourisme récemment créé.

Même s’il reste ouvert aux épreuves d’aviron (championnats du monde juniors, Masters mondiaux, championnats français), ce grand espace libre trouve de multiples opportunités d’utilisation : examens scolaires, conventions d’entreprises, congrès, célébrations de tous ordres, salons professionnels, banquets jusqu’à deux mille couverts… Le succès est évident : ainsi, en 1982, cent-trente manifestations sont accueillies au Palais du Lac.

Interventions

La création sur toute la surface disponible (2 000 m2) d’un sol dur se substituant à la terre battue, le changement de toutes les baies côté Lac, l’évolution de l’éclairage, la réfection et le renforcement de sa toiture… Ces interventions de maintenance et d’adaptation aux usages  permettent au Palais du Lac de remplir pleinement sa fonction sans que son apparence ait fondamentalement changé : d’une austérité réelle côté parking, évocatrice d’un haras ou d’un motel, il déploie ses formes séductrices côté Allier, face à Vichy.

Bien qu’il soit campé seul sur la berge faisant face à Vichy, qu’il soit extrêmement fréquenté et architecturalement singulier, ce bâtiment s’est fait oublier. Est-ce parce qu’il n’entretient aucune parenté formelle ni avec le patrimoine thermal de Vichy ni avec le patrimoine de béton initialement illustré par la Poste (inchangée)  et le marché couvert (profondément modifié lors de sa rénovation en 2006) ? Parce que c’est un équipement vichyssois mais qu’il est situé sur le territoire de la commune de Bellerive-sur-Allier ? Parce que l’œuvre de son concepteur n’a jamais été étudiée bien qu’il ait signé des édifices représentatifs de son époque, toujours visibles dans la ville, et qu’il incarne de façon exemplaire la démarche des architectes ayant fait carrière hors de Paris, délaissés par l’histoire officielle de l’architecture bien qu’ils aient largement contribué à moderniser la ville où ils exerçaient ?

En dépit du concours actif du service architecture de la Ville de Vichy et de celui des archives départementales de l’Allier, la démarche documentaire – prélude à toute reconnaissance durable de l’édifice – n’a pas permis de retrouver l’ensemble des pièces écrites et graphiques indispensables pour retracer en détail sa programmation, son étude et sa construction. Restent ainsi dans l’ombre la date réelle du début du travail de l’architecte sur la mise en forme du bâtiment et ses éventuelles évolutions entre 1959 et 1964. N’ont pu être établies les raisons pour lesquelles l’architecte Louis Tourlier s’est mis en retrait du développement du programme de ce Parc omnisports ainsi que  l’éventuelle participation de Yervante Toumaniantz au dessin du Palais du Lac. Les dates exactes de début et de fin du chantier, le nom des entreprises qui participèrent à sa réalisation et notamment celui du fabricant des poutres lamellées-collées n’ont pu être déterminées. Subsiste enfin une réelle interrogation entre la date officielle du permis de construire et l’état du chantier du gros œuvre, pratiquement achevé quatre moins après. Ces absences, zones d’ombres, incertitudes, que des études locales ultérieures combleront, n’empêchent pas de considérer, dès à présent,  le Palais du Lac comme exemple d’un édifice remarquable de l’architecture sportive et de l’emploi du bois lamellé collé du XXe siècle.

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