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Maison de la Culture, Grenoble (Isère)

> Descriptif opération


Dans le cadre du programme de constructions associées au déroulement des Jeux olympiques d’hiver de février 1968, André Wogenscky étudie en 1965-1966 et réalise en 1967 un édifice remarquable par sa forme générale, ses espaces intérieurs, son innovation scénique et l’intégration de l’intervention ponctuelle d’artistes. Conçue en un temps particulièrement court à partir d’une sollicitation du  maire de la ville, André Dubedout,  cette réalisation marque l’avènement de la seconde partie de la carrière de l’architecte. Après avoir collaboré étroitement avec Le Corbusier de 1936 à 1956, il a en effet créé sa propre agence et signé des réalisations au caractère social évident qu’elles se rattachent à la Santé (CHU Necker et Saint-Antoine à Paris), à l’habitat (cités à Thionville, Rouen), à la jeunesse (foyer Clairvivre à Saint-Étienne, maisons des jeunes et de la culture à Besançon et Bures-sur-Yvette) ou à la culture (centre socioculturel des Marquisats à Annecy)… Ses relations personnels étroites avec André Malraux, avec des maires se rattachant au courant des Gaullistes de gauche et avec les forces progressistes des milieux socioculturels lui vaudront une longue disgrâce débutant avec l’élection de Georges Pompidou à la Présidence de la République. Avant de trouver au Liban les voies d’une troisième séquence de sa vie professionnelle, il donne à Grenoble la pleine dimension de son talent, de ses convictions et de ses attaches : il matérialise les concepts scéniques de l’avant-garde européenne du théâtre et de la danse, mobilise des plasticiens de renoms, organise la mise à la disposition du public des nouveaux éléments de la diffusion culturelle… Il est à l’unisson d’une époque qui fait de la Culture l’indispensable colonne vertébrale d’une société contemporaine.

Caractéristiques de l’existant

Avec l’élégance plastique qui constitue sa marque, l’architecte inscrit un ensemble de fonctions complexes dans une forme épurée, un corps central étiré et une proue ovale. En revêtant l’édifice de panneaux d’acier laqué blanc, il affirme la présence d’un objet physiquement et plastiquement autonome. Cette forme vaut à l’édifice d’être familièrement surnommé « Le Cargo ». André Wogenscky propose surtout au public de vivre de véritables sensations architecturales lorsqu’il parcourt le hall d’accueil chaleureux et la trémie généreuse et colorée distribuant l’ensemble de l’équipement. Il valorise des nouveautés fonctionnelles tels le restaurant, la salle de télévision et la crèche. Il met en scène un dialogue subtil entre droites et courbes, espaces contractés et espaces dilatés. Il propose une ode au design, alors balbutiant en France, à travers les cabines téléphoniques semi-sphériques, les platines ultrafines de la discothèque, les sièges des différentes salles. Il confie à Martin Barré le traitement du rideau de scène de la grande salle et à Marta Pan la réalisation d’une sculpture monumentale extérieure et celle du mur acoustique de cette même grande salle.

Intérêt

La proposition la plus marquante d’André Wogenscky est d’édifier l’une des trois salles de théâtre selon le principe d’une salle tournante. Comme l’écrit Michel Butor dans la revue Cimaise « cette salle oblige les acteurs à jouer autrement, oblige à une conception de la mise en scène toute différente, oblige à une utilisation autre de la lumière et par conséquent elle oblige à des textes différents ». Issue de l’idée d’un théâtre total né en 1937, cette scène rompt avec la représentation frontale héritée du XVIIe siècle. Seul un tel dispositif permet que tous les spectateurs ne perçoivent pas la même chose au même moment : grâce à lui, ce qu’ils voient ou entendent à un instant donné de la représentation n’est qu’un détail pris dans un ensemble plus vaste. « C’est là une structure qui répond à toutes sortes de recherches dans quantités de région de la pensée contemporaine, en particulier dans la littérature » conclut Michel Butor.

Mais le monde théâtral  ne s’empare pas de cet exceptionnel levier créatif. En poursuivant sa croissance, Grenoble fait potentiellement converger vers la Maison de la Culture un public de plus en plus nombreux. L’évolution des besoins conduit à programmer l’extension du bâtiment et à retenir  pour cela une surélévation, solution fréquemment employée pour les immeubles d’habitation mais peu usitée pour les équipements publics. Un concours d’architecture est lancé sur cette base.

Interventions

Intégrer théâtre, opéra, auditorium et danse dans un ensemble culturel unique constitue l’enjeu du programme justifiant l’évolution de la Maison de la Culture. Antoine Stinco emporte cette consultation en proposant une double intervention particulièrement claire. D’une part, il conserve l’image de l’enveloppe de l’édifice historique. D’autre part, il dispose à proximité immédiate les volumes d’une extension regroupant les fonctions transférées (le restaurant, les bureaux) et celles ajoutées (les studios de danse, le grand atrium apportant une lumière puissante). Ce faisant, il adopte la posture courante des interventions contemporaines dans un ensemble historique : il tient les éléments ajoutés à distance de l’existant, marquant ainsi clairement son intervention.

Néanmoins, il choisit d’exprimer une filiation volumétrique (un édifice compact), visuelle (la combinaison d’un volume noir avec des volumes blancs), esthétique (de grands brise-soleil, des panneaux de façade réguliers). Cette relation au Mouvement moderne rend d’autant plus surprenante les profondes modifications apportées aux espaces collectifs de l’ancienne construction et la radicale suppression de la salle expérimentale de 525 places dont seule est conservée comme trace mémorielle, l’expression de la structure porteuse au plafond de l’espace choisi pour la billetterie.

L’ajout de poteaux de béton inclinés dans la billetterie, la suppression d’escaliers aux garde-corps constitués de plaques de métal laquées en rouge dans l’atrium, l’altération de la complexité enrichissante des parcours d’accès aux salles éradiquent le sens de l’architecture initiale. Résonne alors les propos d’André de Baecque « Construire ces salles merveilleuses pour ne jouer que des classiques, pour n’accueillir que des tournées,  serait profondément décevant. Ces équipements appellent la création. La Maison de la Culture de Grenoble est une victoire sur le conformisme et la routine. »

  • Architectes : André Wogenscky (1967) et Antoine Stinco (2003)
  • Maître d’ouvrage : Ville de Grenoble (1967 et 2003)

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