Rénover
Maison de la Culture, Thonon-les-Bains (Haute-Savoie)

> Descriptif opération


Édifiée sur les berges du Léman, la Maison de la Culture de Thonon-les-Bains est longtemps demeurée la belle inconnue parmi les quelques équipements de ce type érigés en France à partir de 1961 sous l’impulsion d’André Malraux. Sans doute est-ce lié aux conditions de sa naissance. Contrairement à celles d’Amiens (1966), de Reims (1967), de Grenoble ou de Rennes (1968), elle n’a pas été créée à partir d’un réel programme de Maison de la Culture mais elle a fait partie des projets de théâtres intégrés à la politique ministérielle débutante afin d’accroître sa représentativité. Ceci explique la distorsion existante entre la désignation officielle et le bâtiment lui même. C’est en effet un simple théâtre complété d’une bibliothèque et d’une salle de cinéma, que signe l’architecte Maurice Novarina. D’où les dimensions limitées de l’édifice, comparé aux autres Maisons dont celle de Grenoble, conçue pour accueillir une offre culturelle globale et pour constituer la plateforme départementale d’actions allant à la rencontre de populations alors peu mobiles.

Au seuil des années 2010, la rénovation de ce bâtiment confirmé dans son unique rôle de théâtre, se confronte à deux volumes compacts étroitement imbriqués, à une architecture affirmée participant de la modernité du centre-ville et à un jalon important dans l’œuvre de l’architecte. Outre celle du Genius loci, l’intervention traite de la fonctionnalité d’un tel espace, des signes introduisant aux moments culturels vécus dans un tel lieu et de la relation physique de l’édifice à son environnement urbain proche.

Caractéristiques de l’existant

Maison de la Culture (1966), Maison des Arts et Loisirs (1969), Maison des arts Thonon-Évian (1997). Maison de la culture de Thonon et du Chablais (2005), Espace Novarina (2007), Théâtre Maurice Novarina (2015) et Maison des Arts du Léman : ces désignations successivement adoptée reflètent la difficulté rencontrée pour synthétiser le statut de cet équipement au fil des décennies. Certes, la Maison de la Culture de Thonon-les-Bains naît sur un site privilégié qui lui permet d’établir un tête-à-tête avec le Léman et s’élabore sous le crayon avisé d’un acteur de la vie locale qui est également un architecte réputé, Maurice Novarina. Mais, nulle circonstance d’inauguration exceptionnelle (les Jeux olympiques d’hiver à Grenoble), nul animateur nationalement célèbre (Robert Hossein à Reims), nulle revendication culturelle locale puissante (à Bourges et Rennes) ne la portent sur les fonds baptismaux après lui avoir donné une ampleur programmatique significative. En revanche, elle existe alors que des projets avortent dans des villes plus importantes, du fait de la volte-face d’un maire (Metz et Tours), l’incapacité des futurs utilisateurs à s’entendre sur les modalités de partage des lieux (Angers) ou l’hostilité d’hommes de théâtre (Strasbourg et Lyon). Elle naît d’une ambition en mode mineur par rapport au grand dessein des Maisons de la Culture tel que le concevait André Malraux, nommé ministre de la Culture en 1959. Au début des années 1960, il ne s’agit pas ici de faire en sorte que « n’importe quel enfant de seize ans, si pauvre soit-il, puisse avoir un véritable contact avec son patrimoine national et avec la gloire de l’esprit de l’humanité » mais d’édifier une salle des fêtes. L’architecte Maurice Novarina est désigné pour concevoir ce projet qui évolue vers un théâtre, complété par la bibliothèque municipale et un auditorium aménageable en salle de cinéma. Puis, en 1964, le maire propose la candidature de cet équipement comme Maison de la Culture. Il y est encouragé par André Malraux qui s’efforce de donner la plus grande visibilité possible au processus de création des quatre-vingt quinze Maisons de la Culture qu’il souhaite voir se construire rapidement en France et de la vingtaine programmée dans les quatre ans à venir. Pour cela, il labellise également des projets déjà lancés au Havre, à Caen et à Bourges. Si bien qu’en juin 1966 est inaugurée à Thonon-les-Bains la sixième Maison de la Culture de France. Le bâtiment est radical, il impose une modernité sans compromis dans le paysage urbain. Il est formé par l’imbrication de deux volumes forts et contrastés, un hexagone et un polygone, abritant des fonctions différenciées. L’hexagone est vitré sur toute la hauteur de ses trois façades orientées vers le lac, la ville moderne issue de la reconstruction d’après-guerre et les fragments des urbanisations plus anciennes. Surélevé par rapport au sol naturel, il regroupe l’ensemble des espaces recevant le public : hall d’accueil et salle de spectacles en rez-de-chaussée ; bar en belvédère sur la ville et le lac à l’étage ; bibliothèque municipale et auditorium au sous-sol. Inversement, le polygone réunit les activités liées au fonctionnement de l’équipement (administration, loges) et à la technique (atelier, monte-charge, quai de déchargement…). La cage de scène marque de sa puissante émergence l’articulation des deux volumes bas. Ces formes générées par la multiplication d’un triangle sont alors particulièrement usitées par les architectes. À partir de la prolifération de cette figure géométrique élémentaire, ils conçoivent indistinctement des édifices scolaires (crèches, écoles maternelles, écoles primaires), des équipements sociaux (haltes-garderies, PMI), des édifices culturels (bibliothèques), des ensembles de bureaux ainsi que des immeubles de logements « industrialisés » dont un modèle agréé sera même baptisé « Hexagone ». Maurice Novarina lui-même en exploite simultanément tous les potentiels pour les théâtres de Thonon-les-Bains et d’Annecy. Cette approche facilitée par le système constructif poteau-poutre offre l’avantage de mettre en œuvre des volumes compacts dynamiques, d’accentuer l’opposition entre transparence et opacité. Ainsi à Thonon-les-Bains, alors que la façade principale vitrée de l’hexagone s’ouvre à la ville, la façade opaque du polygone tient à distance le public des activités de fabrication administratives, artistiques et techniques des spectacles. Liée à la mise en œuvre d’un mur-rideau, l’accentuation de la transparence sert l’idée que l’édifice est un espace public ouvert et met en scène la présence des spectateurs aux moments où ils séjournent dans le hall et le foyer. L’effet « lanterne » est alors d’autant plus vivement perçu que les villes sont encore peu pourvues d’un éclairage public puissant. En revanche, cette démarche géométrique multiplie les espaces en angle peu fonctionnels qui contraignent les aménagements mobiliers et le quotidien des utilisateurs.

En 2007, le projet de rénover une partie des espaces publics du théâtre conduit à dresser le bilan des interventions précédentes et des faiblesses de cette partie de l’édifice. Les modifications ne l’ont pas épargné : la bibliothèque et la discothèque ont été remplacées par une salle d’exposition, l’auditorium a fermé, le bar du promenoir a été supprimé, le hall fortement remanié, le balcon de la salle de spectacle supprimé et la structure tridimensionnelle de toiture masquée… Vieillissant, le mur rideau n’assure plus que très partiellement l’étanchéité à l’air et ne protège plus des variations de la température extérieure. La suppression du bar de l’étage a concentré la polarité de l’équipement sur le seul hall lors de l’avant spectacle et pendant l’entr’acte. Enfin, le retraitement des abords a établi des ruptures dans la relation entre l’édifice et la ville.

L’intervention des architectes de Wimm et de Silo retenus pour conduire la rénovation est donc complexe puisqu’elle se rapporte à des questions symboliques, fonctionnelles et urbaines. Elle concerne de surcroît un architecte réputé dont la production se trouve valorisée par une thèse, des recherches et une publication, et un édifice emblématique même s’il a été ignoré par les différents guides d’architecture publiés dans les années 1970-1980 et n’est actuellement ni labellisé comme élément du Patrimoine du XXe siècle, ni protégé au titre des monuments historiques.

Intervenir sur l’enveloppe vitrée se situe à la conjonction de trois thématiques : la première est purement technique, puisque relevant de l’isolation, la seconde fonctionnelle car liée à l’espace rendu disponible pour le hall et la troisième symbolique de la relation entre théâtre et public. De fait, la démarche des architectes ne se limite pas à une simple réfection : ils conçoivent une nouvelle façade en avancée par rapport à l’ancienne, reprenant l’idée de la transparence du mur rideau mais substituant aux grandes surfaces planes vitrées les multiples lignes noires verticales des nouvelles menuiseries métalliques. L’extension de la surface du hall s’accompagne d’une redistribution spatiale de ses fonctions de billetterie, d’information, de petite restauration disposées frontalement vis-à-vis de l’entrée et de l’adjonction d’un espace de lecture et de sièges intégrés dans la nouvelle façade.

Ce hall est précédé d’un ample sas qui succède à un escalier intégrant adroitement les diagonales des rampes handicapés, lequel marque l’extrémité d’un ample parvis tissant une relation claire avec la ville.

Par sa finesse, ce travail revendiqué sur le fonctionnement et la symbolique, les règlementations et la thermique, l’esprit des lieux et leur place dans la ville, la relation au public et la médiation culturelle, le temps présent et le design initial, suscite des questions. Quelle forme de relation des publics aux espaces culturels et des équipes des institutions culturelles aux publics transpose-t-il dans l’espace ? Où se situe le centre de gravité d’un édifice fonctionnant selon de grandes plages temporelles sans public et de courtes périodes d’intense présence physique et sonore ? Fallait-il intégrer la circulation d’accès séparée à la galerie d’exposition du sous-sol et sa billetterie à un hall dont la surface est limitée ? Doit-il ou non exister une cohérence esthétique entre le graphisme des affiches temporaires disposées en façade et de l’affichage permanent dans le hall et l’architecture ?

De fait, l’édifice offre à ses visiteurs et aux spectateurs de ses manifestations un halo de blancheur serein et accueillant de jour et hors spectacle, lorsque les espaces ouverts sur le lac et leurs différents mobiliers invitent à la lecture et aux conversations. De nuit et les soirs de spectacles, il attire toujours par son effet de lanterne dans la ville, invite à la rejoindre par l’ampleur du parvis et la disposition des emmarchements qui lui donnent accès. Mais ces mêmes soirs, il éprouve une difficulté intérieure certaine à introduire à la magie espérée des spectacles et à offrir le cadre approprié aux instants séparant deux temps d’écoute… Une dichotomie similaire concerne les interventions plastiques : le rythme de la nouvelle façade suggère une forte relation à l’art cinétique, florissant dans les années 1960-1970, alors que le hall distille un simple « motif » conçu à partir du plan du bâtiment et que le foyer demeure veuf de la grande tapisserie de Raoul Ubac…

Réussites et doutes disent la difficulté d’articuler besoins et budgets : la résonnance du théâtre et son attractivité auprès du public auraient sans doute été plus certaines si l’on avait doublé la surface du hall en procédant à une extension plus déterminée du volume avant du bâtiment, tout en adoptant la même démarche architecturale attentive.

CONSTRUCTION INITIALE
  • Maître d’ouvrage : Ville de Thonon-les-Bains
  • Architecte : Maurice Novarina
  • Collaborateurs : Giovannoni, Rosfelder, Kandaouroff
  • Ingénieurs : Ketoff, Delfosse
  • Scénographe : Camille Demangeat
  • Acousticien : Sohier
RÉNOVATION
  • Maître d’ouvrage : Ville de Thonon-les-Bains
  • Maîtrise d’œuvre : Wimm Architectes (mandataire), Silo Architectes associés, Grisan Architectes,
  • BETstructure : Keops
  • BETfluides, HQE, thermique : Brière
  • Pilotage : Sinaquanon
  • Economie : VIES-AGE
  • Désamiantage : Benedetti
  • Gros-œuvre :Giletto
  • Couverture Zinguerie : APC Etanch
  • Charpente métallique : Sinfal
  • Menuiserie Aluminium : Steelglass
  • Agencement intérieur : Suscillon
  • Cloisons, peintures intérieures : Erba
  • Carrelage : Boujon
  • Plomberie : Hauteville
  • Electricité : SPIE
  • Cuisine : Nevetechnic
  • Ascenseur : CFA
  • Signalétique : Techni Plastik
  • Chauffage, ventilation : Ventimeca et Aquatair
  • Mobilier : Made in Design
  • Lustres : C3 Cube
  • Surface : 3 625 m2 Shon
  • Coût des travaux : 3,6 M€ HT
  • Début travaux : janvier 2014
  • Livraison : décembre 2014
  • Inauguration : 10 janvier 2015

À voir / À lire

  • « Maurice Novarina architecte », Franck Delorme, Carine Bonnot, collections Portraits, CAUE 74, 2009
  • Site de l’agence Wimm : www.wimm.fr
  • Fiche Références, site du CAUE 74, www.caue74.fr
  • À paraître FIN 2017 Les Maisons de la Culture, collections Carnets d’architecture, Éditions du Patrimoine
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