Rénover
Institut d’études politiques, Saint-Martin-d’Hères (Isère)

> Descriptif opération


L’Institut d’études politiques paraissait bien modeste face au geste tonitruant d’un architecte Grand Prix de Rome, Olivier-Clément Cacoub. Celui-ci avait transformé un amphithéâtre en météorite fiché à l’oblique par la puissance de son impact.

En effet, l’Institut affirmait discrètement son appartenance au groupe des constructions initiales du campus. Par la volonté de l’initiateur du domaine universitaire grenoblois, le doyen Louis Weill, et de l’architecte coordonnateur du campus, Georges Bovet (1903-1980), la conception de sept des treize premiers édifices d’enseignement et de recherche fut confiée à des professionnels locaux. Ceux-ci représentaient une sage modernité grenobloise, sobre dans ses dessins, stricte dans ses choix structurels.

De plus, ce premier ensemble de constructions était tenu à ne pas dépasser deux niveaux du fait de la faiblesse des sols et certains édifices, devait de surcroît adopter les pilotis pour protéger leurs occupants des crues de l’Isère.

Plus d’un demi-siècle après cet acte fondateur, l’Institut réintègre le monde des formes contemporaines par une adroite reformulation des baies vitrées de ses façades originelles et la conception d’une extension à la modernité savamment réinterprétée par les architectes Christine Chapuis et Dominique Royer. Si bien que le duo que l’Institut forme avec le restaurant universitaire Diderot, récemment reconstruit par la même agence, renvoie, l’astéroïde voisin à une sorte d’archéologie des formes, par la force conjuguée de leur expression.

Descriptif de l’opération

Devoir accueillir dix mille étudiants en 1960 au lieu de quatre mille dix ans plus tôt, contraint l’Université grenobloise de quitter le centre-ville où elle avait jusque-là concentré ses différents bâtiments. Parmi les sites envisagés, la plaine alluviale maraîchère située sur les communes de Saint-Martin-d’Hères et de Glières est retenue. Le site offre 275 hectares d’un seul tenant, superficie généreuse pour accueillir les Sciences, le Droit et les Lettres, les équipements collectifs et les résidences étudiantes et assurer leurs développements dans les cinquante prochaines années.

L’Institut d’études politiques créé à Grenoble en mai 1948, simultanément à ceux de Lyon, Toulouse et Bordeaux sur le modèle de ceux de Paris et de Strasbourg installés dès 1945, prend place au cœur de ce nouveau campus dessiné par Georges Bovet assisté de Jean Royer, sur un terrain de 15 500 m2. Confié aux architectes Bruno Pouradier-Duteil, Jean Rousset et Pierre Egal, le projet s’engage en 1963, les plans se finalisent en décembre 1964, le chantier débute le 21 juillet 1965, bien que le permis de construire de la première tranche ne soit accordé que le 24 novembre 1965. Cette dernière, de 2 500 m2 pour 400 étudiants, ouvre le 1er octobre 1966 mais sa livraison définitive n’intervient que le 9 novembre 1967. La seconde tranche entre en fonction trois ans plus tard.

Le futur Institut est doté d’un plan rectangulaire de 84 mètres de longueur et de 56 mètres de largeur, son espace central étant occupé par deux patios de surfaces inégales (624 et 468 m2), séparés par un bâtiment transversal qui sert d’axe à un extension extérieure, un petit bloc de bureaux.

Cet ensemble est donc réalisé en trois tranches. L’urgence d’accueillir des étudiants et les modalités de financement conduisent à réaliser pour 1966 les quatre bâtiments ceinturant le premier patio, à refermer la composition en 1970 puis à édifier les bureaux.

Intérêt

Dans sa forme initiale, l’édifice présente une grande homogénéité formelle. Ses principales façades extérieures et intérieures sont identiques : elles se caractérisent par le rythme ample et régulier de grands cadres en béton de 3,85 m d’entre axe. S’y inscrivent des baies de 3,55 m de longueur, composée d’une allège fixe toute largeur, de deux grands ouvrants coulissants, et d’une imposte également divisée en deux parties égales. Seules exceptions à cette grille répétitive, la façade sud esthétiquement affirmée au moyen d’un grand claustra de béton brut, très soigné dans son dessin comme dans son exécution, et la façade des amphithéâtres, aveugles sur la voie principale comme sur la galerie qui les dessert et dont les volumes épaississent l’aile est de l’Institut.

La composition d’ensemble est visuellement perturbée frontalement, en façade nord, par le fin auvent signalant l’entrée principale d’une longue avancée perpendiculaire, et en façade sud, par l’adjonction d’un niveau supplémentaire destiné au logement de fonction du directeur et à des bureaux, et, latéralement, par le bloc des bureaux qui s’en détache tout en s’y reliant par une passerelle.

Intérieurement des galeries vitrées distribuent indistinctement, à rez-de-chaussée, les bureaux, des salles de cours et les amphithéâtres et, à l’étage des locaux, d’enseignement, des bureaux et deux bibliothèques.

Caractéristiques de l’existant

Bien que les activités s’intensifient et que le pôle recherche ne cesse de se développer, les locaux de l’Institut ne subissent pas d’évolution majeure. Des réaménagements intérieurs sont conduits, une sur-toiture est posée sur les amphithéâtres sans affecter la cohérence architecturale. Seules exceptions, la création d’un lieu de vie étudiant et la surélévation du bâtiment séparant les deux patios. À cette occasion, l’agence grenobloise Ludmer déploie les formes arrondies et met en œuvre les éléments métalliques très prisés à la fin des années 1990… Ils seront inaugurés lors de la célébration du cinquantième anniversaire de la création de l’Institut, en 1998.Les évolutions, visibles ou non, relèvent plus des modifications du contexte environnemental et de l’évolution culturelle. L’environnement de l’Institut se modifie : des arbres, dont un ensemble remarquable de tulipiers, se développent à proximité des façades.

Dès 1992, le campus fait l’objet d’une démarche raisonnée d’extension qui lui permet d’aborder de façon cohérente les phases de développement du plan Université 2000, attitude que confirmeront les études urbaines confiées aux agences Interland et Les Pressés de la Cité. Dès la première décennie du XXIe siècle, l’Université se saisit de la question patrimoniale : un « Inventaire du patrimoine architectural et paysager » du campus est réalisé par des deux historiens,  Maurice Culot et Jean-Paul Midant.  Leur travail sert de base à la création d’une « Charte pour la valorisation du patrimoine architectural, urbain et paysager », outil commun de gestion des évolutions des constructions et de leur environnement pour l’ensemble des professionnels appelés à intervenir. En introduction de ce document, Yves Belmont, alors conseiller pour l’architecture de la DRAC Rhône-Alpes, souligne que le campus constitue un ensemble majeur de l’architecture et de l’urbanisme du XXe siècle et à quel point cette prise de conscience sera importante pour conduire les nombreux travaux de réhabilitation énergétique qui interviendront sur le campus.

Procédure

Ces différentes études attestent l’intérêt de l’architecture du bâtiment de l’Institut et conduisent à déterminer une zone d’extension possible, en forme de L, le long de sa façade nord, la plus visible, et en léger retour sur sa façade ouest.

Cet intérêt patrimonial va de pair avec le constant de la précarité fonctionnelle des locaux. Conçus pour accueillir 600 étudiants, ils sont fréquentés par plus de de 1 400 étudiants en 2014-2015 et plus de 2 000 étudiants en 2018-2019, du fait de la notoriété de l’Institut mais aussi en raison de l’allongement de la durée des formations.

Au printemps 2012 est lancé un concours pour la rénovation et la restructuration des 7 175 m2 des locaux de l’Institut et la conception d’une extension de 1 890 m2. Le programme insiste sur la nécessité d’adapter l’existant aux personnes qui le fréquentent, aux normes thermiques et aux conditions d’accessibilité pour les personnes handicapées.

Le programme de l’extension prévoit la création d’un hall d’entrée principal et celle d’un hall secondaire plus particulièrement dédié à l’accueil des manifestations, conférences et colloques, articulé avec un amphithéâtre et la salle du Conseil, des locaux liés à la vie universitaire, des bureaux pour l’administration et les archives. Des locaux et des bureaux sont également dédiés au renforcement de l’activité du laboratoire de recherches en sciences sociales de l’Institut, le PACTE, spécialisé dans l’analyse des politiques publiques, des actions publiques, des territoires et de l’environnement.

Sur un budget de 10,32 M€, toutes dépenses confondues, 6,5 M€ sont affectés aux travaux, à part égale entre rénovation et extension. Les trois équipes sélectionnées à la suite d’un appel à candidature, disposent de trois mois pour établir et finaliser leur proposition. L’agence Chapuis-Royer est lauréate de cette mise en compétition.

Cette action fonctionnelle lourde est stratégique pour le plus important des Instituts régionaux :  sa taille réduite lui donne une faible visibilité au sein de l’Université grenobloise et son cadre immobilier ne le valorise pas.

L’évolution de ses locaux comme son intégration à l’ensemble « Université Grenoble Alpes » font partie d’une nouvelle phase de son développement.

Interventions

À la livraison du chantier, c’est un Institut ayant l’apparence d’une construction actuelle qui s’offre aux premiers regards. Si les architectes déclarent avoir  « pris le parti de se servir du rythme de la structure existante, des poteaux/poutres, des claustras et des pare-soleil en béton brut pour concevoir une extension qui a la particularité de se fondre littéralement avec la construction initiale, de la faire revivre, de lui donner une nouvelle jeunesse et une belle prestance architecturale », il semble que c’est l’inverse qu’ils ont réalisé, à tel point qu’il s’avère quasi impossible de différencier aujourd’hui l’ancien bâtiment du nouveau, et inversement. En modifiant, pour l’actualiser, le design des grandes ouvertures vitrées, et en conservant des éléments qui, tel le grand claustra de la façade sud, font partis des éléments de leur vocabulaire, les architectes ont magnifiquement détourné l’existant pour l’annexer à leur signature et produire ainsi 9 000 m2 de … Chapuis-Royer.

L’Institut est désormais doté d’une entrée principale lisible, ouvrant sur la rue intérieure créée par l’extension et sur le réseau préexistant des galeries intérieures qui irriguent les différents locaux entourant les deux patios. La nouvelle rue intérieure permet de concentrer les fonctions de contrôle d’accès, de regrouper les espaces d’accompagnement des étudiants au cours de leur cursus et les bureaux de l’administration de l’Institut. À son autre extrémité, elle prend la dimension d’un hall, espace d’accueil des manifestations temporaires, des participants aux colloques ou aux conférences qui se déroulent dans le nouvel amphithéâtre adjacent, mais aussi point d’entrée des chercheurs du PACTE et de l’ESEAC. Cette dernière activité, maintenue en lisère du site, voit sa surface accrue sous forme d’un second bâtiment ouvert comme le précédent sur un jardin.

La restructuration des locaux réunit en unités fonctionnelles cohérentes des entités qui s’étaient dispersées au gré des opportunités, telle l’administration, et donne leur juste ampleur à la bibliothèque ou aux archives. Elle règle le niveau sonore au sein des constructions, notamment en disposant un revêtement de sol insonorisant. Elle intègre dans l’extension la station de raccordement au réseau du chauffage urbain.

Toutefois, la rénovation de la cafétéria, des deux amphithéâtres et des bureaux du deuxième étage a été légèrement différée en raison de la nécessité de les désamianter : ils n’ont été livrés qu’en septembre 2020, soit deux ans après les travaux principaux et ont été pilotés par d’autres architectes.

La subtilité des formes ajoutées et des transformations opérées sur l’existant, la cohérence des bétons employés avec ceux existants, retraités en concertation avec les spécialistes réunis au sein des « Médecins du béton », l’adjonction d’éléments métalliques en acier Corten, matériau choisi pour sa relation harmonieuse avec les menuiseries bois, font de cette réalisation une référence en matière d’intervention sur un édifice du XXe siècle. L’architecture initiale est transcendée par l’expression de son caractère contemporain latent. Si bien que l’hypothèse d’une isolation par l’extérieur ne semble pas s’être posée, solution dont sont pourtant friandes d’autres universités, notamment celle de Rennes qui  applique aux 330 000 m2 de bâtiments conçus par Louis Arretche le très étonnant concept de « massification de l’isolation par l’extérieur ».

L’action de rénovation s’est également mise au diapason de la relation qu’entretiennent le campus et la ville de Grenoble avec les œuvres d’art disposées dans l’espace public. Elle valorise la sculpture de Pierre Szekely, accrochée sur un mur de la façade sud après avoir été sauvée lors de la destruction de l’église du Grand Quevilly. Elle déplace pour mieux les rendre visibles deux grandes œuvres peintes par Arcabras, en 1967, « La Guerre » et « La Paix ». Elle offre une nouvelle œuvre monumentale en bronze, signalant l’entrée, « Hypnose » de José Séguiri.

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