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Hôtels, Grospierres (Ardèche)

> Descriptif opération


Préservés parce que transformés en résidences hôtelières, deux anciens hôtels témoignent toujours de la qualité de l’architecture du village du Rouret créé par deux jeunes architectes, Hubert Mesnier et Hervé Vivien, entre 1974 et 1984. Les différents hameaux et l’essentiel des équipements collectifs qu’ils avaient signés sur ce site ont été détruits au début XXIe par leur nouveau propriétaire, la société Pierre et Vacances. Celle-ci leur a substitué des villas, des immeubles et des commerces à l’architecture médiatiquement baptisée « méditerranéenne », tout en faisant passer la capacité d’accueil du village de 200 à 495 hébergements. La perte dépasse ici la simple disparition d’un ensemble d’objets architecturaux cohérents : c’est l’un des sites pionniers du tourisme « vert » ardéchois qui a été détruit. Développée dans les années 1960/1970 – non sans questionnements sur son articulation à la culture occitane, aux activités et aux populations locales – cette nouvelle forme de tourisme a instillé des formes contemporaines dans de nombreux villages (Chambonas, Casteljau, Lanas, Vogüé…),  a mobilisé des acteurs sociaux (Villages Vacances Famille, sociétés mutuelles…) et des investisseurs privés (sociétés et particuliers), de futurs grands architectes nationaux tels Andrault-Parat et des professionnels locaux, loin de l’attention des médias mobilisés autour des grands projets d’aménagement de la côte Languedoc-Roussillon. Ces nouveaux villages de vacances témoignaient d’une confrontation de l’architecture résidentielle, jusque là essentiellement urbaine et péri-urbaine, avec un environnement naturel, des premières évolutions de l’aménagement des communes rurales pour accueillir un tourisme différent, de l’espoir d’inverser la désertification des campagnes et des premiers signes d’une perméabilité de l’aménagement des territoires à une dimension européenne. N’ayant pas été protégés, ils sont devenus de purs enjeux financiers pour les majors du BTP et les grands groupes de promotion comme pour des investisseurs privés qui les folklorisent ou les transforment en Luna Park estival.

Caractéristiques de l’existant

Dès la fin des années 1960, les Hollandais portent un vif intérêt au sud ardéchois et les propriétaires locaux leur cèdent leurs biens à des prix qu’ils n’osaient espérer. Dans ce contexte, la Caisse de retraite des Institutions catholiques néerlandaises, PGGM, acquiert le 7 juin 1974 le domaine du Rouret situé sur la commune de Grospierres, village proche de l’entrée des gorges de l’Ardèche. Cet ensemble d’environ quatre-vingt cinq hectares de champs, de garrigues et de vignes est constitué autour d’une maison de maître et de ses dépendances. Après des discussions avec la commune et plus particulièrement avec son maire, Maurice André, les paysans locaux et la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) afin que les parcelles cultivables du domaine soient échangées contre des landes et des garrigues, une présentation publique in situ du projet sur lequel les architectes travaillent à partir d’août 1974 et l’obtention des accords administratifs, le promoteur peut lancer son opération.

Il prévoit de réaliser deux cents hébergements, un hôtel et les équipements nécessaires aux résidents (piscines, tennis, mini golf, restaurants, bowling, night-club…). Via une relation amicale commune, son représentant local, Jacques de Kort, en confie l’étude à deux jeunes architectes récemment installés à Aubenas sous l’enseigne Augea 7, Hubert Mesnier et Hervé Vivien. Ces derniers font également fonction d’intercesseurs entre l’investisseur et les populations locales puis les entrepreneurs et les artisans.

Pour implanter les différents éléments du nouveau village, ils s’appuient sur les caractéristiques physiques du site : les hameaux résidentiels s’inscrivent sur les courbes de niveaux d’un vallon en forme de U ; un bassin de 1 800 m2 répartis en quatre plans d’eau successifs en occupe le fond ; les activités nocturnes bruyantes se calent dans le creux ombré où la maison de maîtres est établie ; les activités sportives tissent des liens entre ces différents lieux de vie et de loisirs. Une nouvelle route dessert l’ensemble du domaine qui, bien que non clôturé, se tient en retrait du monde ardéchois par le seul fait de la distance qui le sépare du village et des fermes les plus proches.

Pour concevoir ce projet conséquent, les deux architectes intègrent les données de l’architecture locale sans la plagier mais en la combinant avec les acquis fonctionnels et esthétiques de la modernité internationale, retrouvant ainsi  les démarches dites naturalistes qui s’illustrent aux États-Unis, au Danemark et en Finlande. Les différents hameaux d’habitation se caractérisent donc par une architecture imprégnée de références ardéchoises actualisées (longues toitures à la pente accentuée, façades aux volumétries expressives, places et ruelles minérales, articulation de l’eau et d’un habitat dense…). Quelques ponctuations singulières signalent l’accueil (une pyramide largement vitrée à la charpente en bois lamellé-collé), la piscine (une tente en textile tendu) et le centre du village (la cafétéria aux lignes de béton moderniste, les logements du personnel saisonnier tenus dans des volumes expressionnistes et le podium dédiés aux spectacles nocturnes lui aussi résolument moderne. Un peu à l’écart, le bowling se caparaçonne de blocs de pierre considérés comme un «déchet» par les carriers alors que dans le château et ses dépendances se marient restauration et aménagements contemporains.

Construit simultanément au premier des hameaux résidentiels (les Coquelicots), l’hôtel baptisé Le Caléou s’érige à l’écart des différents pôles d’activité afin de bénéficier de la proximité avec l’ancien parc arboré du château et de vues dégagées sur un paysage infini de plaines et de montagnes. Le programme qui leur a été donné se limitant à un objectif, «  réaliser un hôtel cinq étoiles d’environ soixante chambres avec une suite royale », les architectes élaborent les éléments du programme en se documentant, en voyageant pour visiter des réalisations et rencontrer des professionnels du tourisme. Puis, pour dessiner le projet, ils puisent dans les revues professionnelles, leur admiration pour Paul Rudolf et la visite de l’hôtel que Justus Dahinden a conçu à Rigi Kaltbad (Suisse).  Le Caléou exprime leur volonté d’un puissant mimétisme entre le bâti et son environnement immédiat : la franche géométrie des formes, la rugosité du béton, la teinte grise générale des volumes se confrontent à la puissance brute des pierres et des garrigues ardéchoises pour mieux s’y fondre. Cette relation symbiotique mobilisait également les végétaux : terrasses et toits-terrasses étaient plantés avec des essences identiques à celles caractéristiques de la garrigue environnante.

Leur désir d’abolir les frontières entre dedans et dehors, entre naturel et artificiel s’illustre dans le traitement des deux niveaux de terrasses du restaurant qui se glissent entre bâti et nature mais aussi dans celui de la piscine, mi-intérieure, mi-extérieure, entre espace thermal souterrain ménagé dans une salle hypostyle évoquée par des piliers latéraux stylisés et résurgence bienfaitrice. Très présent dans chaque chambre et la terrasse qui le prolonge, le paysage est plus contenu dans le corps central du bâtiment, enroulé autour d’un spectaculaire escalier de bois et de béton qui, à chaque niveau dessert un espace aux dimensions d’une placette de village.

Quelques années plus tard, à ce premier hôtel de soixante-dix chambres en est adjoint un second de cinquante, La Garrigue.  Autant le premier est  manifestement dressé face au paysage autant le second est discrètement étiré dans le site au point de disparaître dans la végétation qui envahit ses toits-terrasses. Cette ode à la relation entre habitat et nature est aussi celle de l’intelligence des contrastes entre ombres et lumières, des parcours intérieurs pour passer d’un hôtel à l’autre, du parking aux chambres, de la campagne aux chambres, des hameaux résidentiels et de leurs équipements collectifs aux chambres. Chaque porosité est l’occasion d’une confrontation à une spatialité rare qui transforme chaque pas en événement plastique par la modification de la relation des sens entre vue et enfermement, ombre et lumière, béton et verrière. Ainsi organisés, ces parcours intérieurs permettent de rappeler avec un escalier conséquent, trois marches, une rampe douce ou un plan légèrement incliné que dans cette contrée rien n’est jamais plat. En recourant à cette dernière façon de solliciter doucement le corps, Hubert Mesnier nous remémore Le Corbusier à Poissy, Charlotte Perriand aux Arcs, Louis Miquel aux Marquisats d’Annecy et au musée des Beaux-arts de Besançon…

Pour déployer cette architecture métissant fondamentaux et nouveautés, intelligence des espaces et création sensible, attention aux usages et plaisir des matières, ses auteurs ont établi des relations complices avec un bureau d’études régional, de multiples artisans et une entreprise de gros œuvre locale, la Sabat à laquelle on doit la qualité des pièces préfabriquées et des éléments réalisés en place, notamment les remarquables murs inclinés banchés de la circulation intérieure de ce second hôtel.

Procédure

« Concevoir un projet touristique, au milieu de nulle part, dans une Ardèche non encore habituée au tourisme constituait une entreprise un peu folle », se souvient Jacques de Kort, le représentant local du maître d’ouvrage. D’autant que quatre-vingts entreprises sont présentes sur le site et que l’investissement annuel du promoteur représente trois fois le budget du département… Initié dans l’enthousiasme en 1974, Le Rouret est confronté à la question de sa rentabilité dès 1977. Dix ans plus tard, son initiateur, la PGGM, le cède à Pierre Bouygues, le frère du fondateur du groupe de BTP, Francis Bouygues, qui le revend à Pierre et Vacances le 15 juin 2000.

Interventions

En 2005, cette dernière société confie à Charles Legler, l’un des anciens chefs d’agence de François Spoerry, l’auteur de Port Grimaud, la conception d’un village faussement méditerranéen en lieu et place des hameaux existants. Des villas gémellaires sont saupoudrées au gré des courbes de niveau, des immeubles et des commerces barrent le vallon, les espaces collectifs sont banalisés, deux piscines se substituent au plan d’eau, des tennis deviennent un skatepark…

Les deux hôtels sont rénovés à cette occasion. L’aménagement intérieur des chambres est modifié, sans l’accord des architectes, afin d’effacer les signes les plus visibles de leur modernité, dont les murs intérieurs en béton brut de décoffrage. Des éléments de mobiliers sont vendus, de nouveaux meubles ajoutés dont des lits et des éclairages. Les portes d’entrée des chambres et les éclairages des couloirs de La Garrigue sont remplacés. La façade sur l’entrée du Caléou est agrandie, les terrasses et toits-terrasses, débarrassés de leurs végétaux, sont mis à nu. Néanmoins, ces interventions préservent l’esprit singulier des lieux et la qualité globale de l’architecture initiale. À rebours, ces deux constructions jamais publiées au moment de leur réalisation ni mentionnées dans les ouvrages de synthèse écrits depuis, illustrent le caractère vivant de la constitution du patrimoine du XXe siècle qui agrège de nouveaux objets,ce qui conduira à en réévaluer d’autres et sans doute à terme à réviser l’histoire de l’architecture française du XXe siècle. Elles plaident aussi pour une saisine rapide des autorités chargées de la protection de tels éléments afin qu’ils soient labellisés mais surtout protégés par une inscription au titre des monuments historiques. Et ceci d’autant plus que les éléments architecturaux témoignant de la modernité des aménagements touristiques créés dans les années 1970 en Ardèche du Sud deviennent particulièrement rares, les enjeux financiers ayant conduit leurs propriétaires successifs à les transformer profondément pour les folkloriser afin de répondre à ce qu’ils pensent être le goût actuel du grand public européen. Très loin donc de l’envie d’une architecture savoureuse, «pimentée» manifestée par Hubert Mesnier ou de son désir de créer des surprises, telle cette entrée fortement végétalisée s’ajoutant à la transparence sur la forêt limitrophe : elle faisait « qu’en entrant dans l’hôtel on entrait dans le parc. »

  • Maître d’ouvrage : SA Château du Rouret (PGGM)
  • Architectes/urbanistes : Augea 7 (Mesnier, Meyroneinc, Vivien, Ventalon)
  • Gros : œuvre SABTP
  • VRD : Cerec
  • Espaces verts : Etaev
  • Etudes initiales : août 1974-mars 1975
  • Début des travaux : 1976
  • Première mise en service : juillet 1977
  • Fin de la mission Augea 7 : 1985

À voir/À lire

  • « Hubert Mesnier : 30 ans d’architecture en Ardèche », CAUE de l’Ardèche, 2007
  • « L ‘aventure des VVF, 1959-1989», ouvrage collectif, Éditions du Patrimoine, 2017
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