Reconvertir
Garage, Lyon (Rhône)

> Descriptif opération


À Lyon, le garage Citroën illustre la vigueur du développement de l’automobile entre les deux guerres mondiales et la foi d’André Citroën dans la puissance de l’économie en dépit du crack boursier de 1929 qui lui est finalement fatal… en 1934, l’année où son entreprise déclarée en faillite passe sous le contrôle de la société Michelin.

Conçu en 1930, inauguré en 1932, l’établissement lyonnais associe une succursale de vente de véhicules, une station-service et une unité de production de l’un des modèles de la marque, la Rosalie, apparue à l’automne 1932 mais rapidement détrônée par la « Traction » lancée en 1934. Cet ensemble de fonctions s’inscrit dans un édifice à la puissante structure de béton, à l’imposante rampe intérieure, aux saillantes tourelles d’angles, aux infinies rangées d’ouvertures optimisant l’éclairage des locaux et au monumental hall d’accueil.

Quatre-vingts ans plus tard, il est vendu par la firme automobile PSA à un promoteur lyonnais indépendant, 6ème Sens. Pari financier audacieux, cette opération est aussi un challenge architectural et technique. La reconversion de l’édifice, inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1992, mobilise l’attention de plusieurs types d’intervenants institutionnels dont les services centraux et régionaux du ministère de la Culture, de trois agences d’architectes, d’une grande entreprise du BTP et d’une myriade d’artisans. L’objectif de leur travail commun est simple : comprendre l’édifice, diagnostiquer ses forces et ses faiblesses, organiser sa transformation en espace tertiaire satisfaisant aux normes environnementales internationales certifiées, aux exigences actuelles de gestion des entreprises et à leurs organisations du travail, et accompagner l’installation des nouveaux occupants.

 Caractéristiques de l’existant

L’architecte en chef du service architecture de la marque depuis 1923, Maurice-Jacques Ravazé, impose sa signature sur le garage de Lyon contrairement au légendaire établissement de la rue de Marbeuf  à Paris où son nom disparaît du fait de la notoriété d’Albert Laprade. Pour édifier l’immense bâtiment de la rue de Marseille, il est secondé par les architectes Wybo et Lagrange, ses collaborateurs au sein du service, et par l’ingénieur-conseil Jean Bergerot. Son rôle est de renforcer l’identité de la marque et d’exprimer toute la modernité et l’esprit d’innovation de Citroën dans les garages (espaces d’accueil monumentalisés, façades expressives dans leurs structures géométriques et leur affirmation du béton et du verre, éclairage nocturne), les bâtiments et les usines de l’entreprise. À partir de publications et d’archives, il est possible de déduire qu’il a signé ou cosigné de nombreux projets de la marque en France (réalisations et projets à Paris – rue Marbeuf et avenue des Champs Élysées -, Amiens, Bordeaux, Boulogne-sur-Mer, Brest, Limoges, Louviers, Millau, Perpignan, Saintes, Strasbourg, Toulouse, Tours…), en Europe (Amsterdam…), en Afrique du Nord (Casablanca, Constantine …), en Australie (Sydney) et en Asie (Saïgon…).

Son grand geste architectural lyonnais a été précédé par deux réalisations parisiennes pour la marque aux chevrons d’une ampleur et d’une organisation intérieure novatrices. Le garage Banville (1926) s’élève sur seize niveaux dont huit niveaux de boxes. Il intègre également une piscine, trois courts de tennis, un étage pour un practice de golf, et il est irrigué par une rampe d’accès suffisamment monumentale pour qu’y soient organisées des courses de côte automobiles.

Le Palais des Expositions Citroën (1931), situé place de l’Europe à Paris, réunit un espace d’exposition de trois cents véhicules, une station de graissage, un cinéma, des salles d’expositions, un salon de thé, un stand de vente de jouets et un kiosque à journaux. Et l’année où s’inaugure le garage de Lyon, la firme envisage d’édifier «une ville Citroën» pour la concession de Bruxelles, un complexe plus abouti encore que le Palais des Expositions de Paris.

La visibilité ainsi donnée à la marque au cœur des capitales, des métropoles régionales et des villes reflète l’attitude générale d’André Citroën, un homme friand de communication. Pour promouvoir sa marque, il crée des expéditions : premier raid Saharien (Touggourt  –  Tombouctou, 1922), expédition Centre-Afrique (Colomb-Béchar  – Tananarive, 1924-1925), la Croisière blanche (Byrd – Pôle Sud, 1927), la Croisière jaune (Beyrouth – Pékin, 1931). Il appose son nom sur la Tour Eiffel lors de l’exposition internationale des Arts Décoratifs en 1925 et l’y maintient jusqu’en 1934…

Constituant l’un des symboles de l’apogée d’André Citroën au début des années 1930, le garage Citroën de Lyon s’énonce au superlatif : dimensions (130 mètres de longueur sur 52 mètres de largeur), linéaire de façade (535 mètres par niveau), surface couverte (4 hectares), matériaux (8 300 m3 de béton armé, 1 380 tonnes d’acier, 690 000 m2 de coffrages), capacité d’accueil (un millier de voitures), longueur des rampes d’accès (700 mètres au total). Ainsi qu’il semble l’avoir fait lors de plusieurs inaugurations, André Citroën affirme sans être contredit qu’il s’agit là du « plus beau garage du Monde » et l’édifice passe à la postérité locale comme étant « la plus grande station-service du Monde ».

Bien que situé près des berges du Rhône sur l’extension XIXe de la ville, le garage se banalise et perd son rang de maillon de la mythique nationale 7 dont l’Autoroute du Soleil capte les flux de vacanciers, d’automobilistes et de camionneurs.

L’édifice subit des modifications – à l’image du grand hall dont la hauteur est divisée en 1971 – mais aucune altération majeure ou irréversible ne met à mal ni son apparence ni ses espaces intérieurs. Sans doute est-ce dû à l’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques (distinction également accordée en Région au garage hélicoïdal de Grenoble et aux stations-service de Valence et d’Andrézieux- Bouthéon) prise pour éviter que les Automobiles Citroën n’altèrent  l’édifice au cours des années 1990. Estimant que cette mesure porte atteinte à son droit de propriété, la firme attaque en justice la mesure de classement mais elle est déboutée.

Procédure

Confrontée à des difficultés financières, la société Peugeot-Citroën met en vente le garage en 2011. Elle procède pour cela à une consultation de promoteurs qu’emporte 6ème Sens immobilier, issu de la société de promotion fondée en 1999 à Lyon par Nicolas Gagneux. À son offre de 25 M€ s’ajouteront 33 M€ de travaux, témoignant de la confiance de cette société dans la commercialisation de plateaux de grande surface d’un seul tenant, introuvables dans le centre de Lyon, qu’elle pense alors louer en priorité à l’Université voisine…

Interventions

La puissance et la simplicité de l’édifice pouvaient laisser supposer une rénovation aisée. Mettre ces 50 000 m2 construits (31 500 m2 utiles), en état d’utilisation selon les critères actuels s’avère d’autant plus complexe que les exigences patrimoniales imposent de conserver l’aspect général de l’édifice, les rampes intérieures et les éléments architecturaux ou ornementaux des années 1930. De plus, le promoteur entend offrir à ses clients des espaces de travail attractifs correspondant aux usages contemporains des 2 900 personnes qui fréquenteront le site reconverti.

Ce dernier organise une consultation restreinte à l’issue de laquelle il confie le projet de reconversion à l’agence Sud Architectes. L’intervention de cette structure de plus d’une centaine de collaborateurs sera complétée par celle de deux agences lyonnaises de taille plus restreinte mais composées d’architectes du patrimoine, celle de Cécile Reymond et celle de Philippe Allart (Alep). Toutes deux ausculteront de façon détaillée l’édifice, en dresseront l’état sanitaire, dégageront les points clés des interventions patrimoniales à effectuer et prendront part au dialogue établi avec les services des bâtiments de France.

La philosophie du projet est de mettre à nu la structure et les planchers de béton afin de proposer un décor brut aux futurs occupants en jouant sur l’esprit loft. Ce désir de simplicité qui relève aussi d’une stratégie économique, est confronté à trois contraintes. La première concerne l’enveloppe de l’édifice et plus particulièrement les vitrages et la toiture. Les exigences thermiques et phoniques conduisent à remplacer les simples vitrages existants par des doubles vitrages, ce qui entraîne le remplacement des menuiseries métalliques. L’opération révèle la présence d’amiante dans les mastics qu’il faut traiter. Les nouveaux profils devant respecter les dimensions des profils anciens, des discussions se déroulent avec l’architecte des Bâtiments de France pour choisir une solution esthétiquement et techniquement compatible et financièrement acceptable, tout en évitant l’emploi de produits standardisés. L’intervention sur la toiture s’attache à conserver l’expressivité des poutrelles métalliques de la charpente tout en renforçant l’isolation thermique, à mieux gérer les évacuations des eaux pluviales, à intégrer quelques loggias dans les brisis de la toiture en zinc et à maintenir son statut d’habitat pour les oiseaux (martinets et chauve-souris essentiellement). La seconde contrainte résulte de la faible épaisseur des planchers de béton calculée par l’agence d’architecture de Citroën et par l’entreprise de construction. Leurs poutres sont renforcées par l’adjonction de plats en fibres de carbone. La troisième est liée à la présence des voitures. D’une part, des vitrages coupe-feu sur-mesure ont du être installés en périphérie du vide central correspondant au volume des anciens ateliers du garage, de sorte que les futurs occupants du second niveau bénéficient d’un élément d’animation singulier : une vue directe sur la concession automobile et ses espaces de maintenance. D’autre part, la conservation des rampes automobiles d’accès aux étages  permet d’offrir 161 places de stationnement réparties sur les 4 niveaux supérieurs du New Deal mais impose sur chaque palier des mesures de protection anti-incendie.

Classiquement, la transformation des usages induit des adaptations spatiales. Les entrées latérales ont du être élargies sans modification substantielle des façades, de nouvelles circulations verticales créées pour compléter celles existantes, notamment pour adapter les capacités d’évacuation à une fréquentation acrue. Les verrières sont agrandies aux dimensions de véritables patios, du troisième au cinquième niveaux, pour apporter une lumière naturelle jusqu’au cœur des plateaux.

La valorisation marketing de l’intervention met en valeur la rénovation patrimoniale. La restitution du volume du hall d’honneur, la remise en état des rampes et des garde-corps réalisés par les ateliers Jean Prouvé, la restitution du carrelage dans ce même hall, la préservation du bureau personnel d’André Citroën au sein de l’édifice, le maintien de la typographie de l’enseigne, la préservation des rampes…  illustrent l’attention véritablement portée à cette problématique. Une question cruciale du chantier portait sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la porte monumentale d’accès au garage, 14 m de large et 10 m de haut, symbole disparu de l’édifice. Fallait-il la restituer ?  Procéder à la manière de ? Créer un projet contemporain ? Dans ce parcours d’excellence, la réponse s’énonce curieusement même si le résultat est intéressant : « Comme Jean Prouvé aurait pu la dessiner aujourd’hui ».

Le pari de la reconversion semble gagné : les différents niveaux se prêtent à des utilisations très diversifiées dans leur usage, leur fréquentation et leur esprit. Au rez-de-chaussée, la concession Citroën combine sur 5 000 m2 espaces de présentation des véhicules derrières d’amples vitrines, bureaux et ateliers de premier entretien. Dans les étages prennent place des structures aussi différentes qu’une société d’assurance pour animaux, une école de commerce et une société de co-working. Ces deux dernières attestent de la flexibilité d’utilisation des plateaux libres : le campus de l’Institut des hautes études économiques et commerciales est une ruche bourdonnante aux multiples espaces de toutes tailles agglomérés autour de trois patios centraux, les bureaux partagés proposés par Now Coworking sont ouverts, transparents et sereins… Cette « fabrique » d’expérience, d’expertise et de savoir-faire ne tient qu’à l’engagement passionné de quelques hommes qui au-delà des difficultés, des divergences, des imprévus, conduisent à bien une œuvre marquante. C’est ce dont Jean-Pierre Gagneux et tous les professionnels engagés dans cette reconversion sont porteurs.

ÉDIFICE D’ORIGINE
  • Maître d’ouvrage : Citroën
  • Architecte : Maurice Jacques Ravazé
  • Architectes assistants : Wybo et Lagrange
  • Ingénieur conseil : Jean Bergerot
  • Entreprise : non identifiée
  • Projet : 1930
  • Inauguration : 1932
RENOVATION
  • Maître d’ouvrage : SNC Université 2011 (6em Sens)
  • Architectes : Sud Architectes, Alep, Cécicle Reymond
  • Conseiller artistique : Jean-Yves Arrivetz
  • BET fluides, structure, économie : Iliade
  • BET développement durable : Étamine
  • Concours promotion conception : 2011
  • Travaux : 2011-2015
  • Emménagement : 2016-2017

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