Rénover
Espace Louis Nodon, Vernoux-en-Vivarais (Ardèche)

> Descriptif opération


Après un an de travaux, la salle Louis Nodon rénovée ouvre fin novembre 2012. Cette intervention valorise l’un des signes mémoriels de la modernité au sein de ce village du Haut-Vivarais, témoins matérialisés de l’expansion économique et des mutations sociétales au cours des décennies 1950 et 1960. Elle crée simultanément un réel décalage entre la fraîcheur retrouvée d’un équipement public et la décrépitude des commerces et des immeubles qui incarnaient  localement cette dynamique des Trente Glorieuses.

 

Descriptif de l’opération

Par sa hauteur et par sa compacité, ce bâtiment se démarque de l’école élémentaire publique à laquelle il est adossé. Ensemble, ils déterminent une cour de récréation. De forme irrégulière, celle-ci tourne le dos au vaste paysage qui s’étend en aval du village pour mieux regarder en direction du cœur du village, au-delà d’une rue et d’un terre-plein enherbé.

Hier visuellement unifiés par le rythme de leurs percements, l’écriture de leurs fenêtres et le revêtement de leurs façades, ils se lisaient comme un équipement unique,  symbolisant l’éducation par la culture. À la suite de leur rénovation par deux maîtres d’œuvre différents, ils sont à présent clairement distingués par leur mise en couleur. L’école apparaît nettement comme un établissement d’enseignement et la salle des fêtes s’identifie pleinement aux loisirs.

 

Intérêt
Rares sont les salles des fêtes datant des années 1930/1950 n’ayant pas été implantées au cœur d’un bourg et conçues comme un édifice autonome, isolé sur une parcelle, ceinturé d’un vide urbain. Cette conception conférait à chacune d’entre-elles un statut de monument public. Celle de Vernoux-en-Vivarais est non seulement implantée en lisère du tissu bâti du bourg mais sa monumentalité est minorée par son imbrication aux volumes de l’école, organisés selon une forme en V. Si bien que le regard du passant ne discerne pas s’il s’agit de locaux scolaires monumentalisés ou de l’exacerbation d’une activité sportive particulière ou d’une accentuation paroxystique de la salle de catéchisme d’une institution religieuse.

Ce brouillage de la perception est prolongé par l’écriture architecturale de la salle des fêtes. Potentiellement identifiée comme monument public par le fronton de sa façade principale, elle présente néanmoins des caractéristiques inhabituelles. Ainsi, son dernier niveau est ponctué par une série de fenêtres dont les dimensions correspondent à celles des appartements, et sa façade principale par des ouvertures généreuses qui ne semblent pas être associées à des bureaux…

Sans gommer certains de ces traits singuliers ni désolidariser les deux équipements, la récente rénovation de la salle des fêtes affirme la vocation culturelle et festive de celle-ci. Rebaptisée « Salle Louis Nodon », elle est dédiée au cinéma et aux spectacles et pourvue des équipements, y compris informatiques,  indispensables à leur présentation dans les meilleures conditions actuelles. Cette intervention s’effectue à volume constant, une extension s’avérant inutile du fait que l’équipement touche une population relativement restreinte, les temps de déplacement étant dilatés par le relief accentué de cette partie de l’Ardèche.

 

Caractéristiques de l’existant

La salle des fêtes exprime la modernité d’un bourg montagnard du Haut-Vivarais dans les années 1950 et 1960, commerces et loisirs mêlés : des devantures de boutiques parées de céramiques, un majestueux immeuble d’angle blanc dédié à un restaurant, un lac où évolue des pédalos, une colonie de vacances de la ville de Vaulx-en-Velin, l’une des banlieues populaires de Lyon… et le souvenir encore puissant de la guerre de 14-18 avec cette figure féminine, bras déployés sur une infinie liste de tués… hécatombe gravée dans la pierre comme en écho récent aux luttes meurtrières ayant longuement opposé ici protestants et catholiques.

« Éteints la télé et enfiles ton gilet ! » :  la large écriture s’épanouissant au bord de la route, rappelle la ténacité de l’esprit de résistance dans ces contreforts ardéchois, et fait affleurer à la mémoire quelques autres formules radicales, assénées en langue d’Oc au cours des années 1970. Il en est de même du « Sois pauvre et tais-toi » jeté à même le mur latéral de la salle Louis Nodon, comme en introduction au long graff qui s’est invité sur le garde-corps de la rampe inclinée extérieure créée pour acheminer les matériels nécessaires aux différents spectacles et pour assurer la fluidité de l’usage éventuel des issues de secours. Avec la mise en lumière de la façade, c’est l’un des signes de la transformation de l’ancienne salle multifonctionnelle dotée, à l’étage de dortoirs et d’une salle de motricité et, au niveau bas, d’un unique espace accueillant successivement sur des sièges mobiles les spectateurs des projections cinématographiques et ceux des tournées théâtrales ou des concerts, les pratiquants d’activités sportives les visiteurs et les exposants de salons…

 

Procédure

Si la nécessité d’endiguer le vieillissement de l’équipement apparaît clairement, le programme de son actualisation ne sera établi que dans le cadre de discussions entre la municipalité et l’architecte chargé des travaux. Une fois prise la décision de spécialiser la salle dans les pratiques culturelles, et après avoir envisagé d’accoler un nouveau volume à l’existant, celui-ci doit régler à volume constant la polyvalence et l’acoustique associées à l’exploitation d’un équipement accueillant des projections de films actuels assurés par Écran Village, des représentations théâtrales, des spectacles de danse, des concerts de toutes sortes. Cette diversité est illustrée par le programme inaugural du 24 novembre 2012, où sont associés danse, slam, chant choral, cinéma et musique.

Le cœur du programme porte sur l’aménagement d’un plateau scénique de cent mètres carrés, d’une salle dotée de gradins rétractables qui, selon la disposition adoptée, offre une capacité de deux cent vingt-cinq spectateurs assis à quatre cent trente-huit personnes débout et d’une régie son et lumière assurant la qualité des représentations et des projections.

 

 

Interventions
La rénovation est confiée à Jean Christian Chèze, architecte qui a choisi de s’installer à Vernoux-en-Vivarais après avoir suivi l’enseignement des écoles nationales supérieures d’architecture de Lyon et de Paris. Ce professionnel est également intervenu dans cette commune pour rénover le collège, réaliser des logements, construire la Maison de santé et de services associée à l’hôpital local.

La rénovation s’inscrit dans la double contrainte d’un budget très limité (750 000 euros) et d’un existant peu malléable. Outre les questions relatives à l’identification d’un tel édifice à la dimension culturelle réaffirmée, de nombreuses insuffisances sont relevées dans l’espace intérieur. Ainsi, la scène existante est fortement surélevée, son cadre étroit et sa surface limitée. Le balcon existant doit être conservé pour que le projet demeure dans l’enveloppe financière allouée. Le plafond de la salle n’offre pas une résistance suffisante pour y accrocher le grill. L’entrée est trop exiguë pour assurer un accueil de qualité. Les accès à la scène pour acheminer les éléments propres à chaque spectacle sont défaillants.

Extérieurement, les interventions s’attachent à redonner une prestance à l’édifice et à le rattacher à l’époque présente. Une rampe d’accès latérale desservant la scène et les sorties de secours est interposée entre l’espace public et un ample parking. Sur la façade latérale quelques ouvertures basses sont gommées. Un grand à-plat rouge s’y développe. Il tranche avec le gris appliqué sur l’ensemble du volume – à l’exception de la corniche – et accentue, par contraste, l’étonnante présence sous la toiture d’une rangée de six fenêtres et de deux fenestrons. Il traduit en deux dimensions les volumes des différents espaces attribués aux spectacles et aux projections. Il s’oppose à présent au tumulte visuel généré par le graff tracé postérieurement sur la rampe.

Au pied de la façade principale, structurée par de hautes ouvertures et un fronton intégrant une scène pastorale, six marches conduisent au parvis. Celui-ci a été créé pour que les spectateurs puissent se retrouver avant les spectacles ou les projections et échanger leurs impressions à leur sortie sans obstruer le hall rénové, traité comme un espace de transition chaleureux mais n’offrant qu’une surface limitée bien qu’il ait été agrandi au prix d’une importante reprise en sous œuvre.

Lors des projections ou des spectacles « assis », l’entrée dans la salle s’effectue selon une confrontation avec l’univers noir de la sous face des gradins et la profondeur du mécanisme les rendant rétractables. Cet instant éveille le souvenir des scènes expérimentales des grandes institutions théâtrales. Il intensifie également la découverte progressive de la hauteur puis du volume de la salle et, enfin, de l’univers coloré des sièges. Leur camaïeu de brun résulte d’une vectorisation du visage d’Éli-Wallach (1915-2014), l’un des acteurs du film de Sergio Léone Le bon, la brute et le truand. Cet acteur est également connu pour avoir tourné avec Élia Kazan (Baby Doll), John Huston (The Misfits), Henry Hathaway, John Ford et George Marshall (La Conquête de l’Ouest), John Sturges (Les Sept Mercenaires), Francis Ford Coppola (Le Parrain III) ainsi qu’avec Gérard Oury (Le Cerveau). Un tel choix graphique illustre une certaine prédominance de la programmation cinématographique dans l’exploitation de la salle bien que la souplesse du système de gradinage réponde à des jauges et à des usages scénographiques diversifiés. Flexibilité (de 218 places assises à 390 personnes gradins rétractés) et modularité ont été pensées dans la perspective du développement d’une politique culturelle conduite en relation avec le dispositif « Les Nouvelles Envolées » du Théâtre de Privas. Ceci a conduit à libérer la scène des loges qui s’y trouvaient pour l’agrandir et à reporter celles-ci en sous-sol, au sein duquel a également été réalisée une liaison entre la régie et la scène.

Dans le traitement de la salle, la rigueur budgétaire est adroitement compensée par la mise en œuvre de plaques de contreplaqué marine, peintes en brun sombre, d’éléments d’insonorisation gris foncé sur les murs latéraux, et par le choix judicieux d’éléments d’éclairage encastrés, préférés aux produits basiques des catalogues des différents fabricants usuellement mis en œuvre dans ce type de contexte.

 

Raconter des histoires n’est-ce pas le meilleur moyen de réunir les populations ? En ce sens, l’association physique entre cet espace culturel et l’école fait sens.

Concrètement même puisque le nouveau préau de l’école est accroché sur la façade latérale de la salle, que les murs de l’école semblent naître de cette même façade… dans une symbolique latente du passage, de la continuité, de la complicité… Enfin, la salle Louis Nodon reflète l’installation des néo-ruraux dans les années 1960-1980 ayant fait évoluer l’offre culturelle et l’avènement de la Communauté de commune locale.

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