Laisser en l'état
église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

> Descriptif opération


Par leur implantation en lisière de la ZUP des Trioux (actuel quartier de la Gauthière), cette église et le centre paroissial qui lui est associé traduisent l’accompagnement des évolutions urbaines de la capitale de l’Auvergne par les responsables religieux et, par leur radicalité formelle, la volonté d’affirmer la présence du culte catholique dans l’ensemble d’une métropole que dominent les puissantes masses foncées de la cathédrale.

Les architectes Faye et Tournaire confèrent un monumentalisme saisissant à un programme usuel puisqu’associant un espace de célébration à un centre paroissial et à un presbytère. Pour ce faire, les deux architectes déploient l’élancement spatial des formes triangulaires pour concevoir l’église au pied de laquelle s’égrène un chapelet des volumes parallélépipédiques bas correspondant aux salles paroissiales et aux logements du presbytère.

Caractéristiques de l’existant

Voisinant à présent avec le boulevard John Fitzgerald Kennedy, aux dimensions quasi autoroutières, l’église semble s’être glissée entre les immeubles hauts d’une ZUP et les façades chahutées d’une zone d’entreprises. Masquée par un alignement d’arbres, ceinturée par des barrières parfois complétées par des fils de fer barbelés, elle offre la vue fugitive d’une sorte de panachage stylistique, trois arrêtes de béton, assurément modernes, séparant trois pans triangulaires de shingle noir, possiblement régionalistes. Cet angle de vue résulte d’une inversion de l’approche, l’église privilégiait initialement l’orientation de ses formes vers son public, les habitants de la ZUP puisque le boulevard n’existait pas lorsqu’elle a été conçue. Sur la rue de La Charme, elle affirme effectivement une façade triangulaire particulièrement élancée, se déployant vigoureusement au-dessus d’une suite de volumes bas dont elle n’est séparée que par la faille basse d’une entrée prolongée par un couloir.

Cette église est donc bâtie selon un plan triangulaire, lui-même formé par l’assemblage « en éventail » de  trois triangles isocèles de dimensions décroissantes. Si la multiplication d’une forme triangulaire par rotation autour d’un axe est souvent utilisée par les architectes au cours des années 1960, ce procédé créatif n’a, à notre connaissance, été utilisé que très parcimonieusement pour générer des églises, sans doute en raison de l’assimilation de la forme pyramidale à d’autres obédiences. Parmi ces rares exemples figurent le développement hélicoïdal de Jean Marol pour Notre-Dame des Neiges à l’Alpe-d’Huez (France, 1972) et la suite de triangles inversés de Renzo Piano pour San Giovani à Foggia (Italie, 2004)

Limitée ici à trois éléments, cette rotation s’accompagne de l’érection de trois toitures herculéennes, trois volées de hauts gradins préfabriqués. Tout en suggérant des marches cyclopéennes de béton brut offrant un cheminement vers le ciel, ces escaliers colossaux permettent d’envisager des célébrations extérieures. Cette réduction du projet à l’essentiel de la pensée et de la matière peut se lire comme une critique des trémoussements décoratifs de d’édifices religieux des débuts du XXe siècle et de la reconstruction de l’immédiat après seconde Guerre mondiale, comme Notre-Dame-de-Toute-Grâce au plateau d’Assy. Une telle ascèse conduit le présent projet aux rives du minimalisme régissant la conception des ouvrages d’art. Cette dimension se retrouve dans la nef, monumentalisée par la brusque retombée, à l’arrière de l’espace de célébration, des six poutres, à la fois voûtes et piliers, d’une incroyable puissance. Là, apparaissent intactes les sous faces des gradins dont les angles contribuent à la régulation de l’acoustique de cette coque de béton fermée afin de rendre audibles paroles, prières et chants.

 

Procédure

Fait rare, la réalisation de cet ensemble est confiée à l’agence Faye et Tournaire à la suite d’une mise en concurrence d’architectes organisée en 1968. Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours se situe sur un terrain cédé par la société Michelin, et sa construction a été rendue possible par un financement associant le Diocèse, les fidèles et un important donateur. Elle est mise en chantier en juin 1970 et consacrée trois ans plus tard, en juin 1973. Ainsi que le retrace le dossier établi en 2013 par Christophe Laurent, dans le cadre du repérage d’édifices de l’agglomération clermontoise susceptibles de recevoir le Label «Patrimoine du XXe siècle» en Auvergne, les premières infiltrations d’eau sont constatées peu de temps après la mise en service de l’édifice. Celles-ci se produisent à travers les toits-terrasses du centre paroissial, les gradins et les fentes lumineuses séparant les trois triangles de la toiture de l’église. Le commanditaire se retourne alors contre les architectes et les entreprises et l’action en justice dure de 1979 à 1982.

 

Interventions

Pour résoudre ces désordres, il est décidé d’installer une surtoiture au-dessus des trois ensembles de gradins formant la toiture initiale. Une charpente légère supporte un toit en asphalte. Cette solution est certes économique et efficace mais elle affecte la cohérence  esthétique de l’église et modifie également l’ambiance de la nef, puisqu’elle conduit à obturer les fentes lumineuses qui l’éclairaient. Ainsi, Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours n’est à présent ni tout à fait elle-même, ni tout à fait une autre…

À cette situation extérieure s’ajoute intérieurement, le goût pour les objets « anciens » partagé par les fidèles et les célébrants. Certes,  l’enthousiasme bâtisseur des années de la Reconstruction amplifié par Vatican 2  qui avait conduit à adopter des formes radicales, donc simples, puissantes et dépouillées, est toujours présent. Mais à l’intérieur de l’église, il est confronté au goût moyen, inlassablement à l’œuvre, qui ramène lentement les édifices les plus exemplaires de leur époque à l’ordinaire, par le simple mais répétitif apport d’objets désuets… créant une atmosphère domestique dans un espace normalement dédié à célébrer l’expression contemporaine d’une foi bimillénaire.

Une restitution – au sens du retour à l’état initial – de cette église semblerait opportune d’autant qu’il s’agit de l’unique église d’une équipe d’architectes renommée, du plus probant des édifices religieux construits à Clermont-Ferrand dans les années 1960-1970 et que les moyens techniques actuels le permettent. Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours figure à présent parmi les églises les plus intéressantes édifiées en France au début des années 1970 bien qu’elle ait été – paradoxalement – peu publiée voire même  ignorée par des esprits aussi avisés que Pierre Lebrun  (auteur d’une thèse sur « les lieux de culte catholique en France durant les Trente Glorieuses »), Bernard Toullier, éminent spécialiste de l’architecture du XXe siècle, ou Pierre Louis Rinuy, fin observateur de l’architecture sacrée du XXe siècle.  De plus, comme le note Christophe Laurent, historien de l’art, s’il existe des édifices de plan triangulaire, ceux unissant de manière aussi cohérente un plan, des élévations et une ossature triangulaires paraissent rares. Par son originalité plastique, elle tranche sur les conventions programmatiques et architecturales du moment qu’illustre à Clermont-Ferrand l’église de la paroisse Jésus-Ouvrier inaugurée en décembre 1971 et due à Louis Jarrier, un autre architecte clermontois. Assurément, Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours répond à distance aux formes ascendantes, elles aussi exceptionnelles, du Temple de la rue Marmontel signé par Jean Marconnet, inauguré dès 1966. Elle est à la « Sitologie », pensée développée par Faye et Tournaire  pour caractériser la relation des architectures aux environnements dans lesquels elles s’installent , ce que Sainte Bernadette de Nevers est à la « Bunker Archéologie » de Claude Parent et Paul Virillio : un manifeste.

Remettre en état Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, ne serait-ce pas également être en accord avec la pensée de Monseigneur François Kalist, archevêque de Clermont-Ferrand, écrivant dans le « Journal des Chantiers du diocèse de Clermont », en juin 2017 : « Il nous faut sauvegarder et transmettre aux générations futures des bâtiments qui témoignent de l’histoire spirituelle de notre territoire. »

 

 

Maître d’ouvrage : évêché de Clermont-Ferrand (association diocésaine).

Architectes : Paul Faye et Michel Tournaire, architectes

Jacques Moinard et Pierre Bulit, architectes collaborateurs.

 

 

À voir/À lire

Amouroux (Dominique), Crettol (Marco), Monnet (Jean-Pierre), Guide d’architecture contemporaine en France, Paris, AA Technic-Union, 1972, p. 59.

L’Architecture d’aujourd’hui, n° 168, juillet-août 1973, p. 50.

Patrimoine sacré XXe – XXIe siècles, Paul Louis Rinuy et Pascal Lemaître, Editions du Patrimoine, 2014

Document de présentation de l’église disponible sur place.

©2017 URCAUE Auvergne-Rhône-Alpes