Rénover
École de physique, Les Houches (Haute-Savoie)

> Descriptif opération


« Maman disait qu’elle se sentait plus intelligente en montagne… » rappelait Cécile DeWitt-Morette (1922-2017), fondatrice de cette École de physique. Sur la base de ce constat intuitif et familial, le premier campus scientifique de France est donc créé à la montagne. Plus précisément à l’entrée de la vallée de Chamonix, dans un site boisé dominant Les Houches, sur un terrain isolé de six hectares, appartenant à l’illustre architecte Albert Laprade (1883-1978). Partisan résolu d’une architecture dite « locale », ce dernier assortit la location de chalets, puis les actes de vente des terrains, de contraintes esthétiques drastiques dont il s’assure très régulièrement qu’elles sont scrupuleusement respectées. Elles s’imposent à son confrère et ami de Megève, Henri Jacques Le Même (1897-1997) dont il avait vanté l’architecture à la fois « très régionale, simple et moderne » dans un article publié par la revue «L’Architecture d’Aujourd’hui » en 1933. Effectivement, un projet dédié à la réunion des esprits à l’avant-garde de la recherche scientifique s’inscrit dans des formes architecturales vernaculaires, au sein d’un site bucolique que la chaîne du Mont-Blanc domine de toute sa puissance.

Descriptif de l’opération

Jeune physicienne diplômée de l’université de Caen puis de la Faculté des Sciences de Paris, Cécile Morette intègre un laboratoire du CNRS où elle assiste Frédéric Joliot dans le domaine de la physique théorique. Elle complète sa formation en Angleterre, puis en Irlande. Après l’obtention de son doctorat à Paris, elle travaille à l’Institut de physique théorique de Copenhague avant de gagner l’Institut for Advanced Study de Princeton à l’invitation de Robert Oppenheimer. En 1951, elle épouse le physicien américain Bryce DeWitt (1923-2004).

Ce parcours universitaire et la fréquentation des grands noms de la physique forgent son désir de créer un espace où une trentaine d’étudiants français et européens partageront les connaissances les plus avancées de cette discipline. Ainsi nait le concept de l’École des Houches où, à partir de 1951, les plus grands physiciens transmettent des savoirs qui repoussent les limites de la connaissance humaine. Leur enseignement prend la forme de quatre cours dispensées en 24 leçons chacun. Les jeunes physiciens sélectionnés en France, au sein de l’École polytechnique et de l’École normale supérieure et, en Europe, dans des établissements similaires, vivront avec leurs illustres enseignants pendant huit semaines dans un lieu retiré, amplificateur d’échanges et donc créateur de liens durables.

Comme le constate fin août 1958 Philippe Gaussot, reporter du « Dauphiné Libéré », l’école est en fait « un village d’alpage » avec ses cinq ou six grands chalets de bois et de pierres sèches, trois plus petits et six mazots. « Le réfectoire est installé dans la salle commune d’une vieille ferme. La bibliothèque est nichée dans un ancien galetas, l’amphithéâtre dans une grange». Il aurait pu ajouter que l’administration se serre au premier étage de l’un des petits chalets.

La création et le développement de l’École sont sans doute à rapprocher de la politique volontariste du gouvernement français en matière de maîtrise de l’énergie nucléaire et plus localement de la création d’un Centre d’études nucléaire en 1956 à Grenoble. La double nationalité de Cécile DeWitt-Morette permet également de placer sur un plan relationnel amical une relation entre la France et les États-Unis qui sera parfois politiquement tumultueuse en matière d’indépendance nucléaire.

Après huit années de fonctionnement dans ces bâtiments ruraux, l’École de physique peut envisager de se pérenniser et de s’installer dans des constructions neuves. Le soutien du Recteur de l’Académie de Grenoble et de la direction générale de l’Enseignement supérieur, les aides financières du comité scientifique de l’OTAN, permettent d’envisager la construction de bâtiments, respectivement baptisés « Esprit » (enseignement et administration), « La Chère » (restauration) et  « Habitations » (logements pour les professeurs et leurs familles). Tous trois sont étudiés par Henri Jacques Le Même mais seul le premier sera réalisé, l’acquisition des terrains « indispensables pour que l’École ne soit pas à la merci d’un projet immobilier » mobilisant finalement toutes les ressources disponibles.

Parvenu à la moitié de sa vie professionnelle, Henri Jacques Le Même tire ainsi profit de son rôle de conseiller technique de l’Éducation nationale pour la Savoie et la Haute-Savoie qu’il exerce depuis 1942, de son amicale relation avec Albert Laprade, de la proximité de son lieu d’exercice, Megève, et de l’École puisqu’il travaillera sur le site de l’École de physique des Houches jusqu’en 1978, année d’inauguration des logements du chalet Alpens et de la modification de l’auditorium d’Esprit, entre temps renommé La Jacassière.

Caractéristiques de l’existant

Mi-juillet 1959 s’engagent les premières discussions autour d’une réorganisation des locaux du site : les trois constructions envisagées libéreront des espaces au sein de plusieurs chalets qui pourront ainsi être réaménagés en logements pour les professeurs et les étudiants.

Si, dans ses premières esquisses, Henri Jacques Le Même cherche à articuler enseignement et restauration, très rapidement les programmes s’individualisent et son travail se focalise sur le bâtiment dédié à l’enseignement, au travail et à l’administration.

Le 11 décembre 1959, l’architecte en achève la mise au point du projet. Il met à profit la déclivité du terrain pour organiser les gradins de l’amphithéâtre de 42 places sous forme d’un volume saillant. Celui-ci est articulé à un volume bas,  de près de 40 mètres de long et de 11 mètres de large, où se côtoient sur un même niveau la bibliothèque, trois salles de travail, le hall d’entrée, les bureaux (intendant, secrétariat, direction) et un salon de réception.

Après le satisfecit d’Albert Laprade, l’approbation de Cécile Dewitt-Morette et quelques adaptations de détails, le permis de construire est déposé le 7 juillet 1960. Il est obtenu seulement le 8 mars 1961, le projet ayant « déclenché quantité de réflexions de la part du ministère de la Construction et, surtout, du Recteur de Grenoble qui ne parait pas être du tout au courant de vos projets » ainsi que le constate l’architecte dans le courrier qu’il adresse à sa cliente le 10 septembre 1960. Ces complexités administratives inattendues conduisent à lancer l’appel d’offres fin juin 1961 et à n’engager le chantier que le 10 octobre 1961, situation potentiellement risquée à plus de 1 100 mètres d’altitude…  De fait, à un hiver rigoureux où les chutes de neige interdiront l’accès au chantier ou obligeront l’entreprise de gros œuvre à précéder à d’éprouvants déneigements des travaux en cours, succèdera « un printemps absolument déplorable » selon les termes de l’architecte. Mais ses difficultés sont atténuées par la confiance inébranlable de sa cliente qui lui répond : « Je me réjouis en pensant au très joli chalet que vous me construisez. » La commanditaire, bien que très occupée et résidant aux États-Unis, porte une attention constante au moindre détail du projet. Ainis, lorsque Henri Jacques Le Même est confronté à l’équipement de l’amphithéâtre, elle lui expédie une caisse contenant un exemplaire d’un fauteuil à piètement de fonte dont elle a remarqué le caractère parfaitement fonctionnel…

De fait, le bâtiment est partiellement occupé dès le 12 juillet mais réellement achevé le 21 août 1962. En raison de l’indisponibilité des responsables de l’École, la réception provisoire est reportée à juin 1963, année où Henri Jacques Le Même reconvertit le chalet du secrétariat en logements, et la réception définitive est prononcée le 24 juillet 1964.

La Jacassière est une construction sobre et discrète, conformément à la volonté d’Albert Laprade et à la notion « d’architecture locale » qui s’affirme notamment à travers les règles d’urbanisme de la commune des Houches. Les façades du corps principal sont en pierre de pays, celles de l’amphithéâtre revêtues d’un bois sombre. Les charpentes sont réalisées en rondins de sapin et la toiture est revêtue de tôle…  Une galerie couverte, rythmée par 14 poteaux de sapin non équarris, posés sur des socles en granit, précède la façade principale en formant un chaleureux déambulatoire évocateur des cloîtres. Les matériaux étant de qualité et leur mise en œuvre ayant été étroitement surveillée, l’édifice ne subira qu’un nombre restreint de désordres, limités à un léger affaissement de la charpente dans la bibliothèque et à une attaque des poutres de l’amphithéâtre par des capricornes… phénomène que l’architecte dira n’avoir jamais connu depuis 1925, année de ses débuts professionnels à Megève…

Henri Jacques Le Même réalise l’extension de l’amphithéâtre en 1977/1978 pour en accroître la capacité de 20 places.

Une vingtaine d’années plus tard en revanche, ce sont ses confrères Marc Audrain et Gilbert Genève qui signent, sans véritable attention à l’esprit initial, les extensions latérales et dotent les espaces intérieurs de matériaux standards : murs enduits, dalles de faux-plafonds, carrelage…

Procédure

L’utilisation des bâtiments au-delà des deux mois d’été, l’augmentation de la fréquentation, l’évolution des notions de confort conduisent la direction de l’École à envisager la rénovation des 534 m2 utiles existants et la réalisation d’une extension de 54 m2 utiles. La Jacassière constituant le point de découverte de l’institution, elle souhaite également, par l’évolution de son local phare, revaloriser son image.

L’objectif est d’offrir des espaces accueillants et conviviaux, plus généreusement ouverts, et d’accroître le confort thermique et acoustique.

Interventions

Sélectionnée à la suite d’une procédure négociée lancée par l’Université de Grenoble-Alpes, les architectes de l’Atelier Wolff et Associées déclarent vouloir être avant tout respectueux de l’architecture du bâtiment d’origine. Bien que formellement sobre et d’une grande simplicité d’écriture, celui-ci est doté d’une identité forte qu’ils veulent éviter d’altérer. Ils souhaitent conserver la galerie et laisser libre la façade est et donc la vue sur la vallée et le massif du Mont Blanc, d’où leur refus d’envisager une extension qui s’implanterait à l’avant de la galerie…

De fait, ils vont développer quatre niveaux d’intervention.

Le premier consiste à préserver l’identité de l’édifice. D’une part, ils adoptent une isolation par l’intérieur pour atteindre les objectifs de consommation énergétique ce qui leur permet de conserver les pierres naturelles des façades et les bardages bois, et de remplacer à l’identique des menuiseries bois tout en changeant les vitrages. D’autre part, ils conçoivent un pavillon d’accueil en prolongement du volume existant, sur le pignon sud. Ce nouveau volume constitue une entrée clairement identifiable et le hall se trouve placé en proue du bâtiment tout en disposant d’une bonne exposition au soleil et d’une vue dégagée vers l’est. Ce nouveau volume d’entrée masque le pignon dessiné en 1998. Encastré dans la pente, il s’apparente à un morceau de rocher, sur lequel viendrait se poser l’escalier, d’accès aux chalets d’hébergement situés en amont. Sa volumétrie simple s’harmonise avec l’édifice originel. Traités de manière minérale, les façades et le sol sont recouverts de pierres de granit. La façade est du volume de 1995 est également recouverte de pierres afin qu’elle s’harmonise avec l’ensemble.

Le second porte sur la modification de l’organisation interne du bâtiment. Trois entités fonctionnelles sont clairement exprimées : l’accueil en pignon sud, les bureaux en position médiane, le pôle amphithéâtre/salle des posters/bibliothèque en partie latérale nord.

Cette réorganisation s’accompagne d’une modification des espaces, troisième thème du travail des architectes. Les locaux techniques liés à l’administration sont agrandis, les surfaces des bureaux réorganisées, les salles d’études supprimées au profit de la création de la grande salle des posters. Symboliquement placée entre l’amphithéâtre et la bibliothèque,  c’est le lieu où se poursuivent les discussions théoriques qui se matérialisent par l’écriture de formules sur des grandes feuilles de papier ou des tableaux éventuellement mobiles…

Le quatrième thème est l’évolution de l’ambiance intérieure liée à l’adoption de cloisonnements, d’éléments d’aménagement ou revêtements en panneaux de bois trois-plis massifs clair, et l’apport de lumière naturelle jusque dans l’espace de déambulation notamment grâce à l’installation de cloisons vitrées dans les bureaux. Ainsi, les extensions créées et les espaces réaménagés insufflent un esprit contemporain dans une construction toujours profondément identifiée à la partie initiale conçue par Henri Jacques Le Même. Sans doute est-ce le succès premier des architectes : exprimer la modernité sous-jacente de leur illustre confrère et réaliser, comme il l’avait fait lui-même, un agencement intérieur totalement cohérent avec les besoins, le lieu et l’époque.

 

 

À voir / À lire
« Henry Jacques Le Même », Françoise Véry, Mélanie Manin, Collection Portraits, CAUE 74, 2013
« Megève 1925-1950: Architectures de Henry Jacques Le Même », Maurice Culot, IFA/ Norma, 1999
« Henry Jacques Le Même architecte à Megève », Françoise Véry et Pierre Sady, Éditions Mardaga, 1995
« Du type au prototype », Mélanie Manin, thèse de doctorat, Université de Grenoble

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