Reconvertir
Centre d’Art et de Rencontres Curiox, Ugine (Savoie)

> Descriptif opération


En 1956, l’architecte annécien Claude Fay (1921-2014) reçoit la commande d’une église à édifier dans l’un des nouveaux quartiers d’habitat d’Ugine. Implantée à proximité immédiate de l’usine de métallurgie et des maisonnées régionalistes du quartier des Fontaines, cette église se signale aux fidèles par sa forme triangulaire et par l’évidence de ses matériaux : béton, terre cuite, verre et ardoise. Elle est associée à un centre paroissial, plus discret mais dessiné avec une attention et une simplicité similaires. Un permis de construire est accordé le 15 juillet 1957 à ces deux bâtiments étudiés en février 1957.

La simplicité de l’architecture reflète un budget très contraint mais aussi les doutes qui traversent alors l’Église. Au tout début des Trente Glorieuses, l’évêché doit faire face à un ensemble de nouvelles constructions : il n’accorde qu’un financement modeste à chacune d’elles. S’y ajoute le fait que les doutes qui assaillent les fidèles, limitent les cérémonies, réduisent les dons et les offrandes et poussent au dépouillement. De surcroît, le souvenir encore vif des pénuries endurée par les populations milite en faveur de l’expression d’une Église délestée de ses fastes.

Le projet de Claude Fay développe donc une forme de tente, figure même du dépouillement, tout en établissant dans la ville une forme inusitée. Implicitement, elle fait écho dans l’inconscient au déracinement et à la précarité (les immigrants sont alors nombreux à Ugine) et à une Église œcuménique (elle renonce à son clocher signe traditionnel de son emprise sur la Cité). En mettant en place une forme fréquemment utilisée à l’époque pour édifier des lieux de culte, Claude Fay crée à l’articulation d’une colline, d’un micro centre-bourg, d’une zone d’habitat et d’une usine, une présence simple mais bien campée sur sa série de huit hauts portiques triangulaires en béton.

Un demi-siècle plus tard, l’église désaffectée est transférée à la Ville qui se propose d’y créer un centre d’art. La transformation de cet espace intérieur puissant est très habilement résolue par deux jeunes architectes qui installent dans le volume effilé de la nef un volume géométrique constitué d’éléments répétitifs habillés de noir.

Descriptif de l’opération

L’église du Sacré-Cœur est construite dans le quartier des Fontaines pour offrir à la population de cette partie d’Ugine un lieu de culte plus accessible que l’église Saint-Laurent, établie dans la partie haute de la ville. Elle est proche des usines d’Ugine et des cités ouvrières tel que le « Nouveau Village » conçu par Robert Fournez sur le modèle des cités-jardins aux formes régionalistes et mettant en avant l’emploi du bois et de la pierre. Prévue pour 400 fidèles, elle mesure 28 mètres de long et 22 mètres de large pour une hauteur sommitale de 18 mètres. Elle se substitue à un lieu de culte provisoire et prend possession d’un terrain donné par la société d’électrochimie, d’électrométallurgie et des aciéries électriques d’Ugine (SECEMAEU).

Elle s’érige en fond d’un espace public que des constructions disparates d’aspect, de tailles et d’usages ne sont pas parvenues à constituer en place, au sens urbain du terme. De ce fait, elle s’aborde donc indistinctement soit latéralement, de sorte que s’impose sa toiture sombre, soit frontalement, où s’opposent le grand triangle de béton dressé face au paysage des montagnes, la dentelle ajourée des éléments de terre cuite qui constitue ce pignon-façade et le glissement échancré de l’auvent, porté par de fins poteaux métalliques, qui protège l’arrivée des fidèles et permet un temps d’échange après les célébrations.

Mais, quel que soit le point de vue, s’affirme la simplicité retrouvée de l’Église à travers un édifice de forme évidente, réalisé avec des matériaux ordinaires laissés apparents : le béton banché brut pour les huit grands portiques, le sapin pour les éléments de charpente, la terre cuite pour les amples pignons triangulaires et la chapelle de semaine. Seul « luxe », lié à la volonté d’assurer la pérennité de l’édifice, l’ardoise d’Angers choisie pour la toiture.

Intérieurement, le grand volume est d’un austère dépouillement, l’espace de célébration particulièrement sobre. Il est simplement rehaussé d’une quarantaine de centimètres, afin de récupérer la déclivité créée pour assurer une bonne relation visuelle entre l’assistance et le célébrant. Mais, fait remarquable, aucune ouverture zénithale n’apporte d’éclairage « immanent » sur l’autel… Derrière ce dernier, le mur pignon est exécuté en briques rustiques de Perrignier, de différentes nuances afin d’assurer une discrète animation visuelle.

Le volume est libéré des confessionnaux, alignés de part et d’autre de la porte d’entrée. Il est éclairé latéralement par de simples baies vitrées (sud ) ou des bandeaux vitrés (nord). L’ambiance lumineuse résulte essentiellement du filtrage de la lumière à travers le grand claustra de la façade d’entré, réalisé en boisseaux de terre cuite de Moirans, posés horizontalement. Deux modules différents permettent de faire jouer les lits de pose. Chaque boisseau reçoit un verre blanc ou l’élément d’un vitrail moderne, inspiré de l’Incarnation, descendant jusqu’au sol et encadrant la porte d’entrée principale.

Une chapelle de semaine est traitée en appendice bas, dans le prolongement de la façade créée sur la place.

Une maquette très précise du projet est réalisée. Selon la stratégie de communication alors adoptée par l’Église, elle est présentée au public mais surtout éditée en carte postale afin de propager la connaissance du futur bâtiment et d’inciter les fidèles aux dons pour financer la construction.

La bénédiction de la première pierre intervient le 1er novembre 1957 et la consécration de l’église le 11 janvier 1959. La venue de l’Évêque, le 9 mai 1959 est pour le curé de la paroisse, l’abbé Raymond Barcellini, l’occasion de faire un état des lieux : « Cette église est la première réalisation d’un effort poursuivit pendant trois ans ; elle correspond à l’attente des fidèles et nous sommes heureux de constater un accroissement de la pratique dominicale. Elle attend encore sa parure définitive. À côté de l’Église, s’achève la maison paroissiale. Nous espérons cet automne occuper les nouveaux locaux. Avec l’habitation des prêtres, nous aménageons neuf salles de catéchisme et une grande salle de jeux. »

L’abbé souligne également que « Les travaux de construction et les nécessités financières ont permis à une soixantaine d’hommes de prendre part d’une manières active à la fondation de la paroisse. »

Intérêt

La signature de Claude Fay constitue l’un des points d’intérêts de l’église du Sacré-Cœur. Elle doit en effet être mise en relation avec les autres églises conçues par cet architecte : Sainte-Thérèse à Albertville (1965, incendié et reconstruite différemment), la Transfiguration du Christ sur la Montagne au lac de Tignes (1972), le Sacré-Cœur à Cran-Gevrier (1962) et Sainte-Bernadette d’Albigny à Annecy (1965), ces deux dernières en collaboration avec Maurice Novarina. Dès 1953, il signe l’un des immeubles les plus modernes d’Annecy dans son esthétique et ses solutions constructives, le Clos (rue André Theuriet), et il récidive à Annemasse en 1969 avec la Tour Horizon. Il édifie les premiers bureaux du Conseil d’architecture d’urbanisme et d’environnement (CAUE) de Haute-Savoie (6 rue des Alouettes, à Annecy) en 1966. L’église d’Ugine est également l’une des dernières construites avant que le concile de Vatican 2 (1962-1965) modifie profondément la relation des célébrants avec les fidèles et donc la disposition intérieure des lieux de culte.

Caractéristiques de l’existant

Désaffectée, l’église est reprise par la Ville d’Ugine qui l’acquiert auprès du diocèse d’Annecy. Il est alors convenu que ce lieu aura une vocation culturelle ou sociale. Au vu des spécificités de l’édifice et de son appartenance au patrimoine architectural du XX° siècle, la commune oriente le projet vers un lieu culturel.

Procédure

En 2014, un état des lieux permet de confirmer le potentiel de l’édifice et de cibler les interventions.

La Mairie d’Ugine demande que l’édifice existant soit pris en compte et que son espace reste simple tout en répondant aux normes et aux contraintes de la nouvelle activité envisagée.

En mars 2018 est lancé l’appel d’offres pour les travaux liés à la reconversion de l’église en centre d’art contemporain et de rencontres, selon le projet établi courant 2017 par les architectes François Lis et Clément Daneau.

Interventions

Les deux jeunes concepteurs proposent plusieurs interventions. La première consiste à recomposer l’espace pour l’adapter à la présentation d’œuvres contemporaines très diverses dans leurs thématiques, leurs modalités d’expression, leurs formats et leurs matières.

La création d’un dispositif composé d’une structure alvéolaire en bois, habillée de tissu noir et suspendue dans l’espace, recompose celui-ci en un espace inférieur pratique et un espace supérieur mémoriel. Le dispositif rapporté, d’un poids de quatre tonnes. et qui intègre l’éclairage et le chauffage, détermine une zone basse où les œuvres peuvent être librement disposées au sol, soit suspendues, soit présentées sur les murs latéraux. Les architectes ont en effet supprimé les vitrages de la façade sud et rebouché les ouvertures en bandeau des murs nord afin de réduire les sources de lumière naturelle et d’établir un linéaire supplémentaire d’accrochage. La réponse qu’ils apportent est non seulement originale, extrêmement actuelle dans l’emploi du bois, mais surtout admirablement précise en termes de présence dans la nef, grâce à un travail pertinent de réglage de ses proportions et de la hauteur de son déploiement. Il déjoue le double risque d’être soit perdu soit de s’imposer et offre une surface d’exposition conséquente sans bousculer l’existant.

Ce dispositif, suspendu aux puissants portiques triangulaires de béton, corrige également l’acoustique tout en établissant un triple plénum : celui immédiatement perçu de l’espace compris entre le dispositif rapporté et le sol, celui mentalement induit entre la partie supérieure du dispositif et le sommet de la voute, celui découvert avec étonnement du sol au sommet de la toiture dans l’évidemment inattendu de la partie centrale.…

En réponse à la demande d’une transparence de la salle sur la place, les architectes suppriment la partie inférieure du claustra en boisseaux de terre cuite et lui substitue de grands vitrages dans lesquels est maintenu un accès, néanmoins devenu secondaire. S’il en résulte une réelle vision des activités depuis la place, et de celle-ci depuis l’espace d’exposition, cet adroit traitement met en exergue la vacuité spatiale de la place, ni minérale ni végétale, décomposée en esquisse de parc, d’espace libre et de jeux d’enfants, en boulodrome, en réceptacle de vides-ordures et en places de stationnement… La formule très communicante, largement reprise, consistant à affirmer que ce projet « fait entrer la rue dans la nef » ne traduit donc aucune réalité contextuelle…

L’auvent longitudinal trouve une utilité complémentaire : il relie désormais l’espace d’accueil (ce qui justifie que l’on entre par ce point décalé) et les bureaux du centre d’art à la salle d’exposition, l’ancienne chapelle/ sacristie ayant été affectée à ces nouvelles fonctions.

La modicité du budget alloué aux travaux (480 000 € H.T.) pour une surface, indiquée par les architectes, de 490 m2, concentre l’intervention sur l’essentiel : le désamiantage, les différents aménagements liés aux nouveaux usages. Mais elle diffère les reprises d’un béton dont les fers sont mis à nu en partie basse extérieure des portiques auxquels s’identifient pourtant l’édifice.

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